Une époque formidable

UNE EPOQUE FORMIDABLE
Témoignage de confinement / 1
par François, de base 7 en social

Le confinement pour moi est un mélange étrange d’atmosphère joyeuse et anxiogène.

Il est certain que le vivre en famille complète et dans une maison avec jardin n’est pas la même chose que si
j’avais été seul dans un petit appartement parisien. Cela aide à un bilan largement positif.

Toujours est-il que la famille étant réunie et composée de personnalités riches et toniques, ce temps de confinement ressemble à un apéro géant où, le soir venu, je jette un défi à la tristesse, à
l’angoisse et au fantôme de la mort. J’ai assuré mes arrières, ne risque pas de manquer. Le moment convivial est encore plus important que d’habitude et ne saurait faire défaut, au risque de tomber dans une morosité inquiétante. Car la face sombre du tableau existe bien: sans doute, plus encore qu’à l’accoutumée, les insomnies sont au rendez-vous, les rêves tournent au cauchemar et se sont assez substantiellement modifiés. Il s’agit d’une angoisse de mort, aiguisée par cette fameuse peur de souffrir si commune aux personnes de base 7 et qui, dans les circonstances actuelles, prend la forme d’une menace précise. Face à cela, le recours aux plaisirs est encore la réponse la plus adéquate.

Pendant la journée, je m’adonne au travail intellectuel qui est pour moi un plaisir intense. Mon activité professionnelle me permet cela. Dans mon bureau, situé dans l’annexe de la maison, entouré de mes livres, baigné toute la journée par la musique classique ou pop, selon l’humeur et l’envie, j’avance comme jamais sur ma thèse. Seul, l’esprit mobilisé, je jubile de trouvailles en découvertes. Ma flèche 5 est activée en permanence. Je suis capable d’éplucher des textes avec minutie, je ne rate aucune note en bas de page. Le projet commence à prendre forme, c’est jubilatoire.

En revanche, la flèche 1 que je n’ai jamais beaucoup activée demeure toujours sous-utilisée. Je
pense avoir compris que le passage en centre corps m’est très difficile, bien plus que dans le centre cœur au demeurant, et que même en temps de crise nécessité ne fait pas loi.

En fin de journée, quelques parties de ping-pong m’aident à déconnecter de mon mental (il est amusant de constater que quand je pense au coup d’avant, je perds systématiquement le point). Et la réunion familiale le soir autour de quelques verres permet d’assurer la dose d’échanges nécessaires.

Le social que je suis met évidemment sur le tapis les sujets politiques du moment, ou plutôt de l’après. Toujours dans l’anticipation de ce qui va arriver. Cette période est passionnante car notre monde est à reconstruire. Le bouillonnement intellectuel m’électrise. Je lis l’économiste jésuite Gaël Giraud, je suis à fond sur Facebook. Le soir, j’ai entrepris de relire tout Julien Green. M’ennuyer moi ?

La frustration est cependant réelle de ne pas pouvoir sortir de notre cadre agréable. La forêt est interdite d’accès alors qu’elle est en face. Outre le plaisir que cela m’ôte, c’est aussi une belle
occasion d’être dans mon corps, par la marche consciente vittozienne, qui s’envole. J’ai néanmoins décidé d’appliquer scrupuleusement les règles, du fait sans doute de mon aile 6 et de mon sous-type social prêt à sacrifier ses plaisirs pour le bien du groupe.

Heureusement, le marché a réouvert, et je vais en ville deux fois par semaine. J’éprouve un plaisir intense à échanger avec la pharmacienne, la fromagère, le caviste ou le libraire qui organise un drive. Parler à ces personnes extérieures au cadre familial est vital: tout en étant comblé par la présence de ma famille réunie, la vie ne saurait s’arrêter au cercle de la survie. J’appelle mes meilleurs amis alors que je n’aime pas vraiment le téléphone. Je suis les Facebook live de notre maire, et surtout je rate le moins possible des concerts à la maison que donnent les song-writters pop que j’aime sur Facebook. Tout un monde artistique est en train de se réinventer: j’ai l’impression de participer à une aventure incroyable, d’appartenir à une
communauté d’amateurs éclairés et je me dis que cette époque est, vraiment, malgré tout
formidable…

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