Conseils au Pape, II, 6, trad. P. Dalloz, éd. de Minuit, Paris, 1945, p. 91
1 – SE CONNAITRE
Commence donc par te considérer toi-même. Évite de te disperser vers d’autres sujets en négligeant ta propre personne. A quoi te servirait de gagner le monde entier en étant seul à te perdre? Quelle que soit l’étendue de ton savoir, il te manquerait toujours, pour atteindre à la plénitude de la sagesse, de te connaitre toi-même. Une telle lacune serait-elle vraiment si importante? Elle serait capitale, à mon avis. Connaîtrais-tu tous les secrets de l’univers, et les contrées les plus lointaines de la terre, et les hauteurs du firmament, et les abîmes marins, si, dans le même temps, tu t’ignorais, tu me ferais penser à un constructeur qui voudrait bâtir sans fondations ; ce n’est pas un édifice qu’il obtiendrait, mais une ruine. Quoi que tu puisses accumuler hors de toi-même, cela ne résistera pas mieux qu’un tas de poussière exposé à tous les vents. Non, il ne mérite pas le nom de savant, celui qui ne l’est pas de soi. Un vrai savant devra d’abord connaître ce qu’il est et boira le premier de l’eau de son propre puits! Que ta considération commence donc par s’appliquer à toi-même, et qu’elle ne s’en tienne pas là, car c’est par toi aussi qu’elle doit finir. Quelles que soient les directions de ses écarts, tu la ramèneras à toi avec profit pour ton salut. Tu dois être, de ta propre considération, le premier et le dernier terme.
2 – L’HUMILITÉ NAÎT DE LA CONNAISSANCE DE SOI-MÊME
Qu’avant tout, l’âme se connaisse: la raison requiert pour l’utilité et pour l’ordre. Pour l’ordre d’abord; car savoir ce que nous sommes, c’est ce qui importe en tout premier lieu; pour l’utilité aussi, car cette connaissance humilie et prépare de la sorte l’édification spirituelle. Si en effet l’édifice spirituel n’est pas fondé sur la base solide de l’humilité, il ne saurait subsister. Or, rien de plus efficace, rien de plus utile pour l’âme qui veut s’humilier que de se connaître elle-même en toute vérité.