LOUIS XIV
un archétype* de base 3
La plupart des spécialistes de l’ennéagramme le situent en base 8, faute de connaître sa vie. Pourtant, il me semble que le Roi-Soleil est bien loin de cet archétype. En dépit de sa responsabilité dans certaines guerres qui ont épuisé la France et de son robuste appétit sexuel, il me paraît beaucoup moins correspondre à la simplicité et à la colère qui émanent de la base 8 que de la complexité des personnes de base 3.
D’ailleurs, il le dit lui-même : l’amour ni la guerre ne sont les grandes affaires de sa vie : « L’amour de la gloire va assurément devant toutes les autres [passions] de mon âme ». Nous sommes au cœur de la thématique de la base 3 pour laquelle il est question d’image et de réussite.
Louis XIV est bien sûr un homme d’image. C’est un des premiers souverains à se mettre en scène avec une maestria rare : parfait danseur, excellent cavalier, bon musicien, il est l’immense mécène que l’on sait, le bâtisseur de Versailles, le protecteur de Lully, l’homme qui met en spectacle la royauté du lever au coucher avec un tel éclat qu’on l’appellera le Roi-Soleil ! Les fêtes du début du règne magnifient la fonction royale, les opéras et les victoires sur les champs de bataille célèbrent la gloire du roi.
C’est le deuxième grand thème de la base 3 : la réussite. Louis XIV qui a enduré l’humiliation de la Fronde alors qu’il était enfant, n’aura de cesse de grandir la couronne et d’assurer la suprématie royale. Il veut être un grand roi, le plus grand des rois, et il le sera. Aujourd’hui encore, pour nommer la France de son époque, on parle du Grand Siècle….
Ce souci d’image et de réussite peut faire apparaître la personne de base 3 comme coupée de ses émotions, ce qu’elle est souvent alors qu’elle est au cœur de la triade émotionnelle. Louis XIV ne cille pas sous la douleur physique ou morale, il apparaît distant et majestueux en public (mais sait être cordial en petit comité). Rien de ce qui est à l’intérieur ne transparaît : cela risquerait de nuire à l’efficacité et à l’image glorieuse du monarque.
Contrairement à la base 8, la personne de base 3 fait preuve d’une immense faculté d’adaptation et d’une grande souplesse. Contrairement aux idées préconçues, c’est le cas de Louis XIV : il joue l’équilibre entre les clans rivaux (Colbert et Louvois), oscille entre le modernisme du premier et le conservatisme du second. Louis XIV n’impose rien par la force. Il est au contraire en osmose avec la société de son temps. Cela explique d’ailleurs certaines de ses erreurs les plus graves, notamment la révocation de l’Edit de Nantes : il suit en cela l’opinion publique. Il ne tranche brutalement que lorsque l’autorité et prestige de la couronne sont menacés : avec Fouquet, ou avec les jansénistes. Parfaitement en phase avec son temps, Louis XIV aura somme toute manqué de génie visionnaire : l’absolutisme qu’il a mené à son acmé n’a pas su anticiper sur les nécessaires réformes du pays et a joué un rôle dans l’émergence quelques décennies plus tard du mouvement révolutionnaire.
Quand on étudie le personnage de Louis XIV on constate une totale confusion entre l’être et le paraître, une sorte d’engloutissement de la personnalité dans la fonction. Ainsi dans ses relations amoureuses : au terme d’un rude combat intérieur, il sacrifie son amour pour Marie Mancini à sa fonction royale. Ce sera ensuite l’enchaînement des maîtresses dont on peut dire qu’elles participent au prestige de la couronne. Et puis, avec Madame de Maintenon, le roi s’assagira durablement, conscient du fait que ses errements affectent l’image du roi. Au cœur de la base 3, il y a l’angoisse de ne pas être reconnu, et la croyance qu’il est aimé pour ce qu’il fait et qu’il montre et non pour ce qu’il est. Le Roi-Soleil aura couru derrière cette reconnaissance avec une remarquable efficacité…
Vous pouvez retrouver le portrait développé de Louis XIV et d’autres figures archétypales dans Les grandes figures catholiques de la France de François Huguenin, chez Perrin, 2016.
* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre.