LE VAGABOND DES MERS DU SUD
Bernard Moitessier
Un archétype de la base 5 en survie*
Né en Indochine en 1925, Bernard Moitessier a appris le goût de la nature lors des grandes vacances dans le golfe du Siam au contact des pêcheurs locaux qui l’initient à la navigation. Sa vocation vient de là pour celui qui se surnommait lui-même le vagabond des mers du sud. Sillonnant l’Atlantique et le Pacifique, il passe trois fois le cap de Bonne- Espérance et deux fois le cap Horn. Militant pour la
dénucléarisation du Pacifique, écologiste avant l’heure, il échoue en plein Océan
Indien et passe trois ans à l’île Maurice où il vit dans une maison de corail sur une
plage en donnant des conférences ou en pêchant, et est à deux doigts de perdre un
pied à la suite d’une morsure de requin. En 1958, il fait naufrage en s’endormant en
pleine nuit après 72 heures sans sommeil.
Il participe en 1968 à la première course autour du monde en solitaire. Et, coup de
théâtre, alors qu’il s’apprête à franchir la ligne d’arrivée en vainqueur, devant les
flonflons, la fanfare, les petits fours et la perspective d’un quai noir de monde et de
mondanités superficielles, il renonce à la victoire et poursuit sa course jusqu’à
Tahiti, faisant un tour du monde et demi en solitaire durant dix mois de navigation.
Avec un lance-pierre, il a laissé un message à un cargo en disant : « Je continue car
je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. »
Cet événement emblématique, le goût de la solitude, même quand il sera marié et père d’un enfant, de l’écriture (La longue route est un journal de bord qui eut un vrai succès) née de l’observation, de la nature, poussent à imaginer une base 5 en sous-type survie.
« Je pensais que j’étais un solitaire parce que je ne pensais pas que vous pourriez naviguer autrement que seul. Je me rends compte maintenant comment la solitude en mer a des couleurs intenses et violentes parfois, mais toujours chaudes. Elle n’a rien en commun avec ce genre de grisaille, de vide total qui touche une personne sans compagnons. Plongé dans une foule indifférente qui va toujours pressée. »
La personne de base 5 évite le vide, et la solitude lui permet de le remplir par la
réflexion, l’art ou la contemplation.
« Il y a différentes philosophies pour naviguer. La mienne s’attache à faire au plus simple, pour être paré à prendre la mer dans les plus brefs délais et à moindre frais. »
C’est là que la tentation de la base 5 apparaît, l’avarice, qui peut être matérielle,
par désir de ne pas dépendre de quelque chose de lourd et difficile à lâcher, d’éviter de s’encombrer de besoins superflus, d’attaches lourdes à dénouer: le bateau est là, prêt à prendre la mer. Avarice de soi aussi, car, en mer, personne ne vient demander de s’investir dans une relation qui pourrait troubler son monde intérieur.
Cet excès de passion peut être néanmoins canalisé par la vertu propre de la base 5, la générosité pour développer son talent de faire voir, clarifier, transmettre, avec sobriété. Les pages qu’il nous laisse en atteste, qui nous ouvrent à un monde riche, lumineux, profond, comme une métaphore de la vie intérieure, libre de toute attache et disponible à ce qui est.
« Un bateau, c’est la liberté, pas seulement le moyen de rejoindre une destination,
comme je le pensais il n’y a pas si longtemps. Petite maison spartiate que j’emmène
avec moi et qui me transporte où je veux dans le monde, Marie-Thérèse [le nom
d’un de ses bateaux], représente aujourd’hui la riche solitude des grands espaces.
Où passé et futur fusionnent pour devenir le moment présent dans le chant de la
mer. »
* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre.