Là-haut sur la montagne
par Charles, de base 5
Exercice difficile que de se livrer ainsi au travers d’un témoignage. Donner des clés de lecture sur sa personnalité, c’est en effet permettre à l’autre d’y pénétrer et s’il y a bien une chose que je n’aime pas c’est l’intrusion! C’est ainsi que certains pourraient me percevoir comme un roc, une montagne inaccessible car distante et impénétrable.
Cette montagne a toute son importance pour moi. Elle m’attire. Existe-t-il un meilleur endroit pour limiter les possibilités d’intrusion? Pour ne pas être envahi par le bruit de la ville? Pour s’affranchir de ce brouhaha qui empêche de se retrouver seul face à soi-même?
Se retrouver seul face à soi-même… tant de personnes ont l’air d’avoir peur de cela. Cela m’intrigue. J’ai du mal à comprendre que cela puisse être difficile. J’y arrive facilement et naturellement. Souvent même, je le recherche !
C’est ainsi que je me sens bien sur ma montagne.
Son rythme, vu de loin, y est paisible. Et pourtant, intérieurement, elle vit intensément. La neige de l’hiver cache les bourgeons de printemps qui se développent pleins de vie dans la discrétion. Elle recouvre ces ruisseaux qui sont en fait des torrents. Les hauts sommets maintenant immobiles font oublier l’intensité des mouvements tectoniques qui les ont formés. C’est ainsi que je suis.
Derrière une apparente passivité se cache une activité intérieure intense. Il faut s’en approcher pour le réaliser. Mais attention, comme en montagne, tout le monde ne parvient pas au sommet. Les anciens le savent bien. C’est la montagne qui se laisse gravir par l’homme et non l’inverse. Si la météo ne le permet pas, l’ascension est reportée. La montagne dicte son temps. Ainsi en est-il de mon ouverture. Rejoindre certains sommets n’est possible qu’après la fonte des neiges. Là encore c’est la nature qui donne le rythme. Je tiens à rester maître de mon temps et du moment où m’ouvrir. Gare à ceux qui cherchent à le précipiter. L’avalanche est assurée et l’ascension stoppée nette.
De la montagne j’observe la vallée et sa ville en contrebas. J’en perçois le brouhaha et une certaine agitation. Vu de haut des flux se dessinent. Certains ne me paraissent pas logiques, pas rationnels. J’interroge souvent les habitants d’un « Pourquoi est-ce ainsi? ». Certains me confessent ne pas connaître le sens de leur rythme. Comment peuvent-ils vivre ainsi? A quoi bon dépenser autant d’énergie sans savoir pourquoi? Sans comprendre ni connaître le sens à lui donner? J’aime bien réfléchir à ces questions de fond avec ceux que je vois en descendant à la ville.
Descendre à la ville consiste moins à faire le tour des soirées mondaines ou des grands rassemblements publics qu’à rechercher des moments de qualité en petit groupe. Ces derniers sont plus propices aux grandes discussions profondes et me tiennent à distance des discussions de comptoir sur la pluie et le beau temps. La ville reste cependant un terrain de jeu, un lieu d’observation des techniques et des personnes. L’agitation de la ville multiplie les occasions d’apprentissage et de découvertes. Cependant c’est le calme de la montagne qui me permettra de mettre de l’ordre dans la masse d’observations collectées, de l’intégrer et de pouvoir la partager par la suite. Là encore mon apparente passivité extérieure détonne par rapport à mon intense activité intérieure.
Ma tête parle bien souvent avant mon cœur et mon corps.
Ma vie est une alternance de montée sur ma montagne et de descente à la ville. Monter sur la montagne pour me retrouver, me reconnecter à moi-même. Descendre à la ville pour entrer en relation avec l’autre, s’enrichir mutuellement et donner ce temps qui est si compté. Ces aller-retour perpétuels entre montagne et ville font partie pleinement de moi.
Sans passage par la montagne, je ne pourrais pas être aussi pleinement présent au monde. J’en ai besoin. Cela fait partie de moi.
Quand je monte sur ma montagne, ce n’est pas définitif. Partir pour mieux revenir résumerait bien ce mouvement de balancier qui surprend plus d’un. Certains diront « il était si présent et le voilà d’un coup si loin ». Rassurez-les. Si je suis remonté sur ma montagne, c’est pour mieux revenir à eux. Prenez patience. Mon temps s’écoule différemment.