CONNAISSANCE DE SOI ET VIE DE FOI
A l’occasion de l’enquête Ennéagramme et confinement
Troisième volet
« Seigneur, que je me connaisse et que je te connaisse ! » Saint Augustin
Troisième série de huit témoignages pour mieux comprendre les enjeux de l’Ennéagramme.
En guise de rappel pour les anciens, de découverte pour les nouveaux.
Dix-huit femmes – et oui 🙂 et six hommes qui font un arrêt sur image en période de confinement.
Neuf profils qui nous dévoilent un peu de leurs ressorts intérieurs, leurs combats, leurs ressources, leurs talents et leur liberté de les mettre au service.
Dans son Château intérieur, Thérèse d’Avila évoque sept demeures de l’âme, le Roi résidant dans la dernière. Pour s’y rendre, il faut traverser les six autres, dont les deux premières sont ceux de la connaissance de soi. Elles sont peuplées d’animaux étranges et de chausse-trappes dont nous avons aperçu quelques méandres à travers les témoignages de nos stagiaires.
De fait, plusieurs d’entre eux ont évoqué leur vie de foi: Alexandra donne quelque chose à voir d’un mouvement pascal, quand la confiance passe par risquer « l’heure de la main vide », selon l’expression de Christian Bobin dans Le Très-Bas. Eléonor traverse l’épreuve de l’inaction en la transformant en combat par la prière.
Par ailleurs, nos désirs, nos appétences, nos expertises, donnent quelque chose à voir de notre petite mission dans le monde: « Le propre de l’Esprit est d’éduquer le désir, écrit Jacques Philippe dans Appelés à la vie. […] Il y a de fait une coïncidence entre l’appel de Dieu et le désir le plus profond du cœur de l’homme. Dieu nous invite au don de nous-mêmes par amour, mais cela correspond aussi au désir secret qui nous habite. » Dès lors, mieux se connaitre peut aider au discernement spirituel.
S’en dégage qu’il y a des relations intimes entre connaissance de soi et vie de foi. Mais peut-être aussi des risques de confusions entre vie psychologique et vie spirituelle. D’où l’importance de les articuler sans les séparer, de les unir sans les confondre, pour reprendre l’expression de Jacques Maritain.
Pour distinguer les différentes dimensions de la personne et respecter leur lieu propre, dans le cadre de l’Ennéagramme et de la méthode Vittoz qui sont au cœur de ma pratique, j’ai choisi l’image des trois cercles de Simone Pacot.
Le cercle extérieur pourrait être celui du corps. C’est ce qui m’apparaît en premier: la couleur de la peau, des yeux, de la chevelure, la corpulence, la manière de se vêtir… Ce sont des caractéristiques extérieures, ce qui m’apparaît d’abord quand je rencontre une personne.
Le cercle suivant serait celui de la psyché, qui m’échappe déjà beaucoup plus: le tempérament de la personne, son histoire, sa culture, son éducation, ce qu’elle aime ou qu’elle n’aime pas, ce dont elle a peur, ce qui la met en colère etc. Pour y accéder, une relation plus personnelle est nécessaire.
Le troisième serait celui du cœur profond, de l’unicité de la personne. Nous pourrions le rapprocher de ce que saint Paul appelle l’esprit, Thérèse d’Avila la fine pointe de l’âme, d’autres le for interne. C’est le lieu de sa vie spirituelle, de son rapport à Dieu, un peu comme la septième demeure de Thérèse d’Avila où réside le Roi.
L’objet de l’ennéagramme est le deuxième cercle: il permet de faire la lumière sur nos traits de caractères psychiques, parfois inconscients. Depuis les Pères du désert, dont Evagre le Pontique, sont distingués plusieurs types de personnalité, auxquels correspondent des moteurs propres. « Il y a en chacun une passion principale autour de laquelle s’enlacent toutes les autres. C’est celle-là qu’il faut vous efforcer avant tout de dénicher. » écrit Théophane le Reclus au XVIIIè siècle. L’homme étant mu par la recherche du bonheur, selon Aristote et Saint-Thomas, il s’ensuit qu’en fonction des tempéraments, nous avons une appétence pour le bien spécifique, des excès de passion dont nous pouvons avoir du mal à nous défaire, une vertu et des talents propres à développer.
La méthode Vittoz quant à elle, s’occupe des deux premiers cercles. Comme démarche psychocorporelle, elle propose des moyens de prise de conscience qui permettent l’évolution via le corps, « qui ne ment jamais » selon l’expression d’Alice Miller. La psychogénéalogie peut la compléter heureusement.
Dans le cadre d’une anthropologie chrétienne, une déontologie sérieuse ne permet pas au thérapeute ou au formateur, de pénétrer dans le troisième cercle, lieu inviolable de la liberté de l’homme, de son intimité profonde, de ses choix propres, de sa volonté (seul l’accompagnateur spirituel, habilité et formé pour cela, peut éclairer la conscience). C’est quand il s’y aventure, que peuvent surgir des risques de confusion de ces trois dimensions et les dérives afférentes.
Pour autant, l’homme ne peut séparer de manière étanche les différentes dimensions de sa personne. Il existe des interactions permanentes entre ces trois cercles: nous constatons qu’une baisse de forme aura une influence sur notre humeur et notre vie de prière. Et à l’inverse, notre vie intérieure peut rayonner sur notre visage. Il est donc nécessaire pour tendre à l’unité que nous fassions ces liens par nous-mêmes, au besoin à l’aide d’un accompagnateur spirituel.
En bref, l’Ennéagramme et la méthode Vittoz peuvent faire la lumière sur ce qui entrave l’exercice de notre liberté par des filtres psychologiques qui, indirectement, peuvent être des obstacles à l’accueil de la grâce.
Comme nous prenons soin de nos corps, qu’il soit malade ou bien portant, il est aussi possible de prendre soin de notre psychisme blessé et/ou grandir en liberté intérieure. Notre cerveau a des ressources souvent inexplorées, via la neuroplasticité, et l’Ennéagramme, la méthode Vittoz font partie de ces démarches (parmi d’autres) qui rendent possible un véritable changement de perspective, quand le « c’est plus fort que moi » entrave notre liberté.
L’Ennéagramme propose de mieux prendre conscience de sa vision spécifique de soi, des autres et du monde, afin d’« élargir l’espace de sa tente »(Isaïe, 54, 2) et mettre au service ses talents. Sans jamais renoncer à ce qui fait que nous sommes uniques dans le cœur de Dieu: nous sommes plus grands que nos caractéristiques, nous aspirons à plus grand que nous, nous sommes faits pour l’infini: « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi », selon l’expression de Saint Augustin.
« Commencer par soi, mais non finir par soi; se prendre pour point de départ, mais non pour but; se connaître, mais non se préoccuper de soi. » Martin Buber, Le chemin de l’homme
Dernier volet à venir: LA MÉTHODE VITTOZ COMME MISE EN MOUVEMENT PAR LE CORPS
Merci Valérie pour ce travail très stimulant. Le confinement comme un cas pratique permettant de ne pas parler de tout, un peu comme ces exemples proposés dans des livres : comment fais-tu quand tu déménages / quand tu cherches un travail / quand tu offres un cadeau… mais avec ici de surcroît une dimension de question de civilisation qui pointe au-delà de nos réactions individuelles. Je n’ai pas tout lu mais ce que j’ai vu reflète majoritairement ce que je connais de l’ennéagramme. Il pourrait y avoir une petite partie qui vient d’une reformulation maître-disciple quand l’assimilation du type n’a pas encore traversé toute notre humanité personnelle. Cette nuance mise à part, quelle finesse de la part des ex-stagiaires et de leurs « accompagnateurs » ! Quand on voit la pauvreté de tout ce qui est proposé sur internet au sujet de l’ennéagramme et qui se contente essentiellement d’illustrer la doxa ! Bravo !