LA METHODE VITTOZ EXPLIQUEE PAR UN MEDECIN PSYCHIATRE
Interview du Docteur Annick Leca
Alternative Santé
Mars 2015
« Le Docteur Annick Leca, médecin et psychiatre, a progressivement intégré dans sa pratique professionnelle, les principes de la méthode Vittoz, créée par un contemporain de Freud, le Docteur Vittoz.
La méthode Vittoz est une approche psychosensorielle basée sur la redécouverte de nos cinq sens, l’accueil de nos sensations, la conscience de nos actes.
Elle utilise des exercices très simples qui s’intègrent dans la vie quotidienne, contribuent à lui donner sens et génèrent un plaisir de vivre.
D’une approche essentiellement pragmatique, cette méthode est constituée d’un ensemble d’exercices élaborés de façon intuitive par le Docteur Vittoz, et validés, dans le cadre de sa pratique, sur lui-même et sur ses patients. Ses intuitions et le bon sens de ses observations voient leur pertinence confirmée par la neurophysiologie actuelle.
Annick Leca nous explique ici ce que cette technique a apporté à sa pratique et le bénéfice qu’en tirent patients et praticiens.
Entretien :
Vous avez exercé votre métier de médecin psychiatre pendant 33 ans en clientèle privée à Marseille
Effectivement, je me suis installée en cabinet libéral en 1980 et en même temps j’exerçais comme médecin attaché dans un Centre médico-psychologique dépendant du C.H.S. Valvert de Marseille.
Quel a été votre cursus universitaire ?
En cinquième année de médecine, je me suis spécialisée en psychiatrie. J’ai passé le concours d’interne des hôpitaux psychiatriques en 1976. Pendant mon internat la référence à la psychanalyse et aux concepts psychanalytiques était permanente. La pratique se référait à différentes tentatives d’application de concepts sans nuance, avec un reste de méthodes actives auxquelles on ne savait pas encore appliquer les concepts psychanalytiques. On disait que toute activité devait être une activité de soin mais on n’avait pas le vocabulaire de la médiation, de la théorie des groupes, etc.
Pour compléter ma formation, pendant mes études, j’ai entrepris une formation à la méthode Schultz, méthode de relaxation, et plus tard une cure Vittoz suivie d’une psychanalyse.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à cette méthode psychothérapeutique proposée par le Docteur Vittoz il y a plus de 150 ans ?
J’ai rencontré la méthode Vittoz un peu par hasard en 1987. J’ai acheté un des livres du Docteur Rosie Bruston qui parlait de cette méthode et la chance a voulu qu’elle vienne s’installer à Aix-en-Provence tout proche de Marseille. J’ai donc pu faire une cure Vittoz avec elle et ensuite j’ai suivi la formation. C’est elle qui a fondé les trois écoles Vittoz-IRDC en France. (Il existe plusieurs autres Associations.) Cette méthode répondait à des questions que je m’étais posées pendant mes études. Quand je parlais d’aider les patients à se ré-entraîner à l’effort intellectuel, on ne parlait pas encore de thérapie cognitive et très peu des thérapies comportementales, on me disait que je faisais de la résistance au sens psychanalytique du terme. Je résistais « névrotiquement » à la théorie psychanalytique. Il ne pouvait y avoir d’autre explication à mes propos incongrus. Je n’admettais pas que les soins aux malades puissent se résumer à l’écoute en entretien individuel. Le Vittoz m’a apporté un abord des patients qui peut se pratiquer en individuel et en groupe et qui allie pédagogie et psychothérapie.
Quels sont les principes de cette méthode ?
Le Docteur Vittoz a fondé sa théorie sur une conception du fonctionnement cérébral et non du fonctionnement de la psyché. La méthode est basée sur une conception du dysfonctionnement du cerveau organe, c’est-à-dire sur sa conception de ce qu’il a appelé le contrôle cérébral. En effet il considère que le cerveau a deux fonctions principales, la réceptivité et l’émissivité. Par réceptivité Vittoz entend la capacité à recevoir les sensations, à y être présent ; par émissivité il entend la production de pensées et les mouvements. Le contrôle cérébral terme forgé par Vittoz est la capacité que nous avons de passer d’une fonction à l’autre quand nous le décidons. Pour Vittoz on ne peut pas penser juste si l’on ne sent pas juste. Il faut donc rétablir un juste vécu de la réalité par le travail sur la réceptivité avant de pouvoir penser de façon constructive de telle sorte que les prises de conscience aient des effets durables. Il a observé que la majorité de ses patients « nerveux » présentant ce qu’on appelait à son époque une psychasthénie étaient épuisés par une pensée en effervescence continue, une pensée incontrôlée, ne leur laissant aucun répit et amenant progressivement fatigue, puis angoisse, phobies, obsessions, dépression pouvant aller jusqu’à la confusion.
Comment cette conception se réalise-t-elle en pratique ?
Elle se transmet par l’enseignement d’exercices sensoriels, puis d’exercices de concentration et de volonté. Pour le Docteur Vittoz, les symptômes peuvent s’améliorer et même s’amender par la pratique régulière des exercices de réceptivité et d’émissivité qu’il nous a transmis dans son unique ouvrage : Le Traitement des psychonévroses par le contrôle cérébral. Au départ la cure est fonctionnelle ensuite tous les exercices seront repris dans leur dimension symbolique. C’est la cure psychique. Chaque exercice est suivi d’un dialogue donnant le temps nécessaire pour nommer les sensations puis les émotions puis les sentiments. La parole alors énoncée sera au plus proche du vécu du patient, nous livrant la réalité de son monde.
Qu’est ce qui fait l’originalité de cette méthode ?
La méthode est à la fois pédagogique et psychothérapique. Pédagogique car nous transmettons les exercices que le patient va pouvoir intégrer dans sa vie quotidienne et qui vont le mener vers plus d’autonomie ; psychothérapique car le rétablissement fonctionnel du contrôle rétablit l’équilibre psychique par la mise en mots justes sur l’histoire et le vécu du patient. L’accès au corps va se faire par des mises en situation au travers d’exercices corporels et mentaux. Cette médiation va être tout à fait particulière. Elle propose au patient des exercices, au départ de façon très directive. Ensuite les propositions du thérapeute tiendront de plus en plus compte de la parole du patient. L’exercice, utilisé dans sa dimension symbolique, sera alors proposé comme une reformulation/interprétation permettant un remaniement des émotions liées aux souvenirs.
Et en quoi a-t-elle changé votre pratique ?
L’état de réceptivité, développé par la cure permet un accueil de l’autre d’une qualité particulière. Le patient se sent reconnu et accueilli dans toutes ses dimensions tant psychiques que physiques ou spirituelles au sens large du terme. Les propositions d’exercices qui lui sont faites le plus souvent dès la première séance lui donnent des outils pratiques pour gérer son angoisse et faire face à ses difficultés.
Cette méthode semble peu connue aujourd’hui, comment l’expliquez-vous ?
Elle est peu connue car sa transmission a été très discrète et occultée par la psychanalyse, puis par les TCC. La méthode est simple, mais comme tout ce qui est simple elle est difficile d’accès et de transmission. Il faut au moins deux années pour acquérir la connaissance pour soi des exercices et deux années supplémentaires pour approfondir la relation thérapeutique. D’autre part elle mobilise du temps (6 week-end par an plus un séminaire de trois jours, plus les séances de formation individuelle 40 par an).
Des protocoles de formation courte sont en cours d’élaboration pour la transmission des protocoles en groupe : gestion du stress, améliorer sa concentration et sa mémoire. Ces protocoles ont été validés scientifiquement par le Professeur Rebecca Shankland de l’Université de Grenoble en collaboration avec des praticiens diplômés de l’IRDC dans le cadre du programme Vittoz-Fovéa.
A qui s’adresse-t-elle ?
A tous ceux qui sont prêts à entrer dans cette démarche qui est exigeante en investissement personnel. La cure Vittoz est un lieu de parole, à partir des exercices dont le vécu sera longuement écouté. Le dialogue est très constructif car il part d’un vécu corporel. Les personnes en recherche de mieux être autant que les patients en plus ou moins grande souffrance peuvent bénéficier de cet accompagnement, le thérapeute adaptant la cure et les exercices à chaque patient. »