Archives de l’auteur : Valérie Maillot

Là-haut sur la montagne

Là-haut sur la montagne
par Charles, de base 5

Exercice difficile que de se livrer ainsi au travers d’un témoignage. Donner des clés de lecture sur sa personnalité, c’est en effet permettre à l’autre d’y pénétrer et s’il y a bien une chose que je n’aime pas c’est l’intrusion! C’est ainsi que certains pourraient me percevoir comme un roc, une montagne inaccessible car distante et impénétrable.

Cette montagne a toute son importance pour moi. Elle m’attire. Existe-t-il un meilleur endroit pour limiter les possibilités d’intrusion? Pour ne pas être envahi par le bruit de la ville? Pour s’affranchir de ce brouhaha qui empêche de se retrouver seul face à soi-même?

Se retrouver seul face à soi-même… tant de personnes ont l’air d’avoir peur de cela. Cela m’intrigue. J’ai du mal à comprendre que cela puisse être difficile. J’y arrive facilement et naturellement. Souvent même, je le recherche !

C’est ainsi que je me sens bien sur ma montagne.

Son rythme, vu de loin, y est paisible. Et pourtant, intérieurement, elle vit intensément. La neige de l’hiver cache les bourgeons de printemps qui se développent pleins de vie dans la  discrétion. Elle recouvre ces ruisseaux qui sont en fait des torrents. Les hauts sommets maintenant immobiles font oublier l’intensité des mouvements tectoniques qui les ont formés. C’est ainsi que je suis.

Derrière une apparente passivité se cache une activité intérieure intense. Il faut s’en approcher pour le réaliser. Mais attention, comme en montagne, tout le monde ne parvient pas au  sommet. Les anciens le savent bien. C’est la montagne qui se laisse gravir par l’homme et non l’inverse. Si la météo ne le permet pas, l’ascension est reportée. La montagne dicte son temps. Ainsi en est-il de mon ouverture. Rejoindre certains sommets n’est possible qu’après la fonte des neiges. Là encore c’est la nature qui donne le rythme. Je tiens à rester maître de mon temps et du moment où m’ouvrir. Gare à ceux qui cherchent à le précipiter. L’avalanche est assurée et l’ascension stoppée nette.

De la montagne j’observe la vallée et sa ville en contrebas. J’en perçois le brouhaha et une certaine agitation. Vu de haut des flux se dessinent. Certains ne me paraissent pas logiques, pas rationnels. J’interroge souvent les habitants d’un « Pourquoi est-ce ainsi? ». Certains me confessent ne pas connaître le sens de leur rythme. Comment peuvent-ils vivre ainsi? A quoi  bon dépenser autant d’énergie sans savoir pourquoi? Sans comprendre ni connaître le sens à lui donner? J’aime bien réfléchir à ces questions de fond avec ceux que je vois en descendant à la ville.

Descendre à la ville consiste moins à faire le tour des soirées mondaines ou des grands rassemblements publics qu’à rechercher des moments de qualité en petit groupe. Ces derniers sont plus propices aux grandes discussions profondes et me tiennent à distance des discussions de comptoir sur la pluie et le beau temps. La ville reste cependant un terrain de jeu, un lieu d’observation des techniques et des personnes. L’agitation de la ville multiplie les occasions d’apprentissage et de découvertes. Cependant c’est le calme de la montagne qui me permettra de mettre de l’ordre dans la masse d’observations collectées, de l’intégrer et de pouvoir la partager par la suite. Là encore mon apparente passivité extérieure détonne par rapport à mon intense activité intérieure.

Ma tête parle bien souvent avant mon cœur et mon corps.

Ma vie est une alternance de montée sur ma montagne et de descente à la ville. Monter sur la montagne pour me retrouver, me reconnecter à moi-même. Descendre à la ville pour entrer en relation avec l’autre, s’enrichir mutuellement et donner ce temps qui est si compté. Ces aller-retour perpétuels entre montagne et ville font partie pleinement de moi.

Sans passage par la montagne, je ne pourrais pas être aussi pleinement présent au monde. J’en ai besoin. Cela fait partie de moi.

Quand je monte sur ma montagne, ce n’est pas définitif. Partir pour mieux revenir résumerait bien ce mouvement de balancier qui surprend plus d’un. Certains diront « il était si présent et le  voilà d’un coup si loin ». Rassurez-les. Si je suis remonté sur ma montagne, c’est pour mieux revenir à eux. Prenez patience. Mon temps s’écoule différemment.

 

Les triades de Horney

LES TRIADES DE HORNEY
ou trois manières d’aborder le monde et les autres appliquées à l’ennéagramme

Karen Horney est née à Hambourg en 1885. Psychanalyste, elle a fui l’Allemagne en 1932 et s’est établie à Chicago. Inspirée par la philosophie platonicienne, et les catégories de la volonté, la passion et la raison, elle a établi une typologie de trois réponses possibles à la manière d’aborder le monde et les autres: aller contre, aller vers, se retirer de.

Richard Riso et Russ Hudson ont appliqué ces triades à l’ennéagramme, lui apportant ainsi une lumière nouvelle.

Les bases qui s’opposent (Horney) ou qui s’affirment (Riso & Hudson): 3, 7 et 8

Ils sont ego-centrés et ego-expansifs. Ils réagissent au stress en construisant, opposant ou gonflant leur ego. Ils veulent contrôler et dominer, affirment leur force, et veulent faire aboutir leurs projets. En psychanalyse, ils sont focalisés vers le moi.

  • La personne de base 3 s’affirme dans la poursuite de ses objectifs et la compétition avec les autres.
  • La personne de base 7 s’affirme pour satisfaire ses désirs et les trouver dans son environnement.
  • La personne de base 8 s’affirme en contrôlant et possédant les autres et son environnement.

Les bases qui vont vers les autres (Horney) ou conformatifs (Riso & Husdon): 1, 2 et 6

Ils partagent le besoin d’être utiles aux autres même s’ils ne se conforment pas nécessairement à leurs attentes mais plutôt aux exigences de leur surmoi. Ils s’ajustent aux autres, bougent en fonctions d’eux, et ont besoin d’être acceptés.

  • La personne de base 1 se conforme aux idéaux qui viennent de son surmoi et le mettent en action.
  • La personne de base 2 se conforme aux besoins de l’autre et à l’exigence de son surmoi d’être aimé et reconnu.
  • La personne de base 6 se conforme à ce que son surmoi pense que l’on attend de lui.

Les types qui s’écartent des autres (Horney) ou en retrait (Riso & Husdon): 4, 5 et 9

Ils ne font guère de différence entre leur moi conscient et leurs sentiments, pensées ou pulsions non conscientes. Ils réagissent au stress en s’éloignant du monde et en investissant un espace intérieur. Leur réserve leur donne l’allure de personnes qui ont un sentiment de supériorité.

  • La personne de base 4 se retire pour protéger sa vie émotionnelle de l’incompréhension des autres et ne pas exposer sa faible image de lui.
  • La personne de base 5 se retire pour ne pas être envahie par les autres et pour pouvoir penser et vivre ses émotions à l’abri des interférences.
  • La personne de base 9 se retire pour que les autres ne viennent pas perturber sa tranquillité intérieure, bousculer son rythme propre et lui imposer ses conflits.

Une manière nouvelle de comprendre certaines confusions courantes entre les bases 3-7, 3-8, 1-6, 2-6, 5-9. Ce n’est pas parce qu’une personne est en retrait qu’elle est forcément de base 5 ni qu’elle est de base 2 parce qu’elle est prévenante. Ce qu’elle donne à voir, le comportement extérieur peut être commun, et les motivations – correspondant aux besoins fondamentaux, très différentes. C’est par le groupe et les échanges, spécificité de la tradition orale, que la différence peut se découvrir.

Vœux !

VOEUX !
par Etienne, avec Marie

Je voulais profiter de ce moment de vœux et de souhaits pour vous exprimer notre gratitude pour ce chemin qu’on a parcouru de 2019 à 2021, ce beau parcours qu’on a fait au travers de l’ennéagramme qui nous a apporté beaucoup.

Beaucoup de tracas parce que ça a fait émerger toute la partie émotionnelle qui était bloquée en moi depuis longtemps et qui m’a amené jusqu’au burn out: j’ai dû prendre le taureau par les cornes et affronter cette partie émotionnelle. J’arrive en 2022 à accueillir notamment cette émotion du deuil de mon père, de son départ, cela est très riche. Evidemment je suis passé par la case burn out, c’est un peu comme au Monopoly: quand on te dit va directement en prison, c’est raide, c’est dur, c’est la vie, mais vous nous aviez renforcés avant: merci à vous pour tous ces contenus.

Aujourd’hui la partie émotionnelle est mieux accueillie, on a beaucoup travaillé sur les BD d’Art Mella sur les émotions, on a beaucoup évolué aussi avec Couple et complices de Gary Chapman qui nous a permis de renforcer notre intimité. On a été très bien soutenus au niveau spirituel, j’ai beaucoup travaillé sur l’anxiété, le manque de confiance en moi; avec aussi Recherche la paix et poursuis-là de Jacques Philippe, ce petit ouvrage que je médite depuis presque un an. Je fais oraison: merci à mon père spi aussi. On a été entourés par une équipe formidable, le tout dans la prière qui est le levain de tout ça. Nous sommes pleins de gratitude envers vous pour tous ces bienfaits et c’est merveilleux.

Du coup, on fait des bilans de compétences tous les deux, chaque élément vient s’ajouter sur ce gros travail sur les cinq modules de l’ennéagramme qu’on a fait avec vous. Ce ne sont peut-être pas les bases, ce serait mentir que de dire que cela a été les fondations parce qu’il y avait d’autres choses en amont, mais cela a cimenté le gros des fondations, ça les a armées. On en a profité pour encore remettre une armature en 2021 avec la clé des émotions, le soin du burn out et maintenant on peut enfin construire, avec ce bilan de compétences, le rez-de-chaussée avec des projets assez enthousiasmants qui se dessinent. Pour ma part une part intuitive se confirme de manière plus certaine: une formation en menuiserie et des perspectives professionnelles qui sont déjà assez intéressantes, un projet qui en discussion, ça se dessine très très bien de mon côté. Du côté de Marie on est encore dans l’ordre de l’intuition parce que le bilan vient juste de commencer, beaucoup d’idées mais pas encore de chose à annoncer, on va laisser le temps au temps.

Encore un grand merci à vous deux et à vos enfants qui ont été présents à certains des modules et certains des échanges, car vous avez été porteurs, vous avez été des canaux puissants de ce que nous sommes aujourd’hui. Pour 2022, pondez-nous un sixième module et on se reverra! On ne demande qu’à avoir de nouvelles choses à découvrir. D’ici-là on reste connectés dans le présent, par le passé. C’est un peu tordu, mais je suis de base 6 donc j’ai le droit de dire des choses comme ça 🙂 C’est parce que vous nous avez aidés à construire ces fondations armées, qu’aujourd’hui nous construisons paisiblement un premier étage qui est très enthousiasmant, bientôt le deuxième étage avec la formation en menuiserie et le troisième avec le projet professionnel, super enthousiasmant.

Grand merci pour la partie professionnelle mais il y a aussi la partie cœur qui m’a permis d’accéder à ce souvenir de mon père, cette émotion du décès de mon père qui est toute fraiche. Cela n’a pas été agréable à passer mais quel enthousiasme, quelle joie, quelle émotion, c’est vraiment magnifique. Et puis grâce à ces fondations en béton armé, par aussi l’accès à l’émotion, on a pu aussi renforcer ce travail sur l’intimité et sur le lien toujours plus puissant entre les époux et aussi avec les différents amis et les différents membres de nos familles, ce désir d’être toujours plus connectés par l’émotion et cette quête spirituelle; d’être toujours plus en vérité l’un avec l’autre. Et ce travail, je suis très heureux de l’avoir découvert et expérimenté à travers le couple et de pouvoir le pratiquer avec tous ceux que le bon Dieu place sur notre route.

Beaucoup de belles choses pour vous pour cette année aussi, je vous souhaite beaucoup de beaux témoignages qui vous permettent de vous apporter, avec les stages, beaucoup de joie, de paix, de retours a posteriori qui viennent parsemer le ciel de notre année de petites constellations brillantes et pétillantes. C’est ce que je vous souhaite, et pour vos enfants aussi, de continuer à progresser. Beaucoup de belles choses, beaucoup de bonnes choses, beaucoup de saintes choses!

 

Aristote et la base 9

ARISTOTE
Un archétype de la base 9 en social*

Aristote est né en 384 avant Jésus-Christ dans la ville de Stagire, dans la péninsule Chalcidique au nord de la Grèce, d’où son surnom de Stagirite. Il est un des fondateurs de l’éthique et de la philosophie politique après son maître Platon. Il nous est notamment précieux car il a écrit avec l’Éthique à Eudème, un traité d’éthique des caractères qui montre notamment que selon son tempérament, nous n’avons pas les mêmes actes à poser ni donc les mêmes vertus à développer, ce que nous transmettons avec l’ennéagramme.

Il est aussi précieux pour sa conception de la vertu que l’on peut lire dans l’Ethique à Nicomaque. La vertu pour Aristote est le juste milieu entre deux contraires, un excès de passion et un défaut de passion. Le courage est ainsi une médiété entre l’excès et porte le nom de témérité et le défaut qui porte le nom de lâcheté. Cette vision du juste milieu, d’un ni trop ni pas assez, fait de la vertu non pas une compétition (comme pourrait le penser une personne de base 3), mais un ajustement à une situation donnée. On pourrait dire que pour lui, toute vertu porte en elle, une action juste… la vertu de la base 9!

De base 9, Aristote? On n’a guère que son œuvre restante pour essayer de le monter. Mais quand on songe à sa vision politique, on est frappé par le fait que le mot clef est l’amitié. Pour Aristote l’amitié, ou philia, assure la cohésion de la cité dont le but est avant tout la concorde et la paix. « L’amitié semble aussi constituer le lien des cités, et les législateurs paraissent y attacher un plus grand prix qu’à la justice même: en effet, la concorde, qui paraît bien être un sentiment voisin de l’amitié, est ce que recherchent avant tout les législateurs, alors que l’esprit de faction, qui est son ennemie, est ce qu’ils pourchassent avec le plus d’énergie. Et quand les hommes sont amis, ils n’ont pas besoin de justice, mais lorsqu’ils sont justes, ils ont en outre besoin d’amitié, et la plus haute expression de la justice est, dans l’opinion générale, de la nature de l’amitié. » (Ethique à Nicomaque, VIII, 1, 1155a 22-28). L’amitié est fondamentale en ce qu’elle diminue l’attachement des hommes à leurs intérêts privés et donc elle limite les risques de conflit. Dans notre langage contemporain on pourrait dire que l’amitié crée du commun et de l’harmonie.

On sait qu’Aristote a osé cette définition de l’homme comme un animal politique, c’est-à-dire un homme qui ne vit pas sans les autres. Pas par altruisme comme une personne de base 2, mais par un sens de ce qui unit. Contrairement à la pensée moderne où l’homme crée la société pour se protéger (motivation de la base 6) ou pour maximiser ses intérêts (motivation de la base 7) ou par souci d’efficacité (motivation de la base 3); pour Aristote, les hommes essaient de vivre ensemble même lorsqu’ils n’ont aucun besoin d’aide mutuelle (Politique III, 6, 13278b 19). Il est dans leur nature d’être rassemblés, dans le couple (tête-à-tête), le village (survie) ou la cité (social). Mais c’est dans le cadre de la cité que l’homme réalise son être, ce qui fait penser à un 9 en sous-type social.

On trouve aussi quelque chose de très 9 dans sa théorie des régimes politiques.

Petit préambule de philosophie politique pour comprendre ce qui va suivre. Pour Aristote, les régimes politiques sont classés de la sorte au chapitre VII de la Politique selon le nombre des gouvernants: soit une personne, soit un petit nombre, soit un grand nombre. Et il y a deux buts possibles: un but louable, le bien commun de la cité; un but perverti, où le ou les gouvernants recherchent leur avantage particulier. Cela fait donc six régimes possibles. Trois sont des formes correctes de gouvernement: royauté, aristocratie et politeia ou république. Trois sont des formes perverses ou dégradées: la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie.

Mais quel est le meilleur régime, question que les Grecs aiment tant? Et bien depuis des siècles on a des lectures très différentes d’Aristote. Certains l’ont vu favorable à la monarchie, d’autres à la république ou même à la démocratie. C’est compréhensible, car Aristote peut laisser penser les deux, comme s’il ne voulait pas trancher définitivement. Mais on peut dire en suivant Pierre Aubenque, un de ses commentateurs récents les plus autorisés, qu’en théorie le meilleur régime est la monarchie, mais qu’en pratique, ce monarque gouvernant pour le bien commun est introuvable (Politique, III, 15)! Voilà une manière pacifique de contredire son maître Platon sans en avoir l’air, comme par résistance passive… Et plus loin (Politique, IV, 2) Aristote dit que la démocratie est la déviation du meilleur gouvernement qui est la moins distante de son correspondant correct, parce que le peuple est moins corruptible que quelques-uns ou un seul, parce que les intérêts contradictoires s’équilibrent en se neutralisant, et donc la démocratie devient alors le plus modéré des mauvais gouvernements, et que sa forme non corrompue, la république, est la plus souhaitable dans les faits. Comme l’a montré Aubenque, Aristote est au fond pour ces régimes médians que sont la politeia et la démocratie, au détriment de ceux qui vont plus loin, jusqu’à l’extrême, dans le bon ou le mauvais, dans une logique qui rejoint celle de la vertu comme juste milieu. On peut aussi dire que la préférence, pas toujours affirmée frontalement par Aristote, pour la politeia et la démocratie est cohérente avec cette amitié politique qui semble se conformer facilement gouvernement du plus grand nombre du fait de l’implication d’un plus grand nombre de citoyens et donc d’une plus grande harmonie.

Un autre indice important est que Aristote définit au départ la politeia comme un mélange d’oligarchie et de démocratie. Au fond la politeia est le juste milieu entre deux corruptions, une médiété entre deux extrêmes. Elle met fin au conflit entre les riches et les pauvres.  Il y a chez Aristote une forme de modération. La grandeur et le sublime sont évacués au profit de l’harmonie et du moindre risque, de la prudence et la pacification (on a ici des mots qui résonnent en base 9 et… en base 6, flèche de la base 9).

Dernier indice, après la mort d’Alexandre et la révolte des cités grecques contre l’hégémonie macédonienne, Aristote doit quitter Athènes et meurt peu après. Il semble qu’il n’ait pas voulu créer un conflit aussi majeur que celui qui a provoqué le jugement de Socrate et a préféré se retirer…

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

 

 

Indispensable ?

INDISPENSABLE ?
par Muriel
de base 2

Quand le stage Ennégramme permet le chemin vers la connaissance et la compréhension de soi, quel émerveillement!

A la fin du Module 1, je ne savais pas si j’étais de base 2 ou plutôt de base 9… c’était frustrant cette incertitude.

Alors j’ai observé, qui j’étais avec les autres et mon fonctionnement dans le besoin d’être reconnue… Mon bien-être est lié à celui des autres: je suis donc de base 2! J’ai très vite compris qu’en me mettant au service de tous, j’étais dans une quête d’ amour et que j’étais surtout… épuisée! 

Le Module 2 m’a permis de partager avec d’autres personnes de base 2, et grâce à l’enseignement de Valérie et François, d’accepter ce ressort de la générosité que j’ai chevillé au corps,  en conscience. J’ai compris que donner et être au service de… tous azimut , était un mécanisme de défense de l’enfance, mais que cet élan c’est aussi mon talent. J’apprends aujourd’hui à mieux l’accueillir tel qu’il est et à dire non, petit à petit, pour que mon oui soit vrai!

Et puisque  l’amour inconditionnel de notre Mère universelle m’est donné, je me remplis de Lui!

Je reste  une personne empathique et dévouée, mais pour que mon don devienne gratuit, je m’efforce de planifier du temps pour moi, pour revenir à mes propres besoins: c’est dans cette mesure que je n’attendrai pas de retour.

J ‘arrête de penser pour l’autre (j’essaie!), de définir ses envies, car cet altruisme pourrait laisser place finalement au sentiment d’être indispensable: un excès de passion qui pourrait aller jusqu’à l’orgueil. Cette notion m’a été difficile à accepter. Je remercie vivement Valérie et François de m’avoir guidée sur le chemin de l’humilité…

Et portée par la Foi, je me réconcilie avec moi même. C’est une grande joie.

A bientôt pour le M3!

Un monde en bleu

UN MONDE EN BLEU
par Martine
de base 6

Mon monde à moi, c’est un monde en bleu
Oui, mais décrit sur toute sa gamme
Bleu… comme mes peurs

Peurs paniques, fulgurantes, incontrôlables,
Des toutes petites, des ridicules, des peurs de rien de tout: peur des araignées, peur de monter sur un vélo, peur des affreux rats, peur de tout et n’importe quoi…

Jusqu’aux plus profondes, jusqu’aux viscérales: celle d’affronter l’inconnu, la solitude, la souffrance, la dépression et surtout la pire de toute, la peur primale: celle du non-amour, celle du rejet, celle de la trahison, celle-là qui vient comme un poignard dans le creux de l’estomac, qui transforme tout en un immense vertige, la vraie, la bleue, l’abyssale. Quand la terre s’ouvre sous mes pieds en un gouffre sans fin et que cette panique me laisse au sol, vide et pantelante comme une épave rejetée par la mer, brisée, abandonnée, seule sur le sable. Celle dont je crains ne jamais pouvoir me relever.

Mais sur la palette de mes bleus, après l’ouragan, c’est le retour au calme. Et le bleu redevient lumineux, un bleu serein, un bleu d’azur. C’est le bleu des jours heureux où le soleil réapparaît dans un ciel uniforme. Cette peur, je l’ai vaincue. Pas seule, non, mais grâce à ce roc, à cette force vivante en moi plus que moi-même. Le bleu d’encre, presque noir s’est dissous. Je revois, je découvre la beauté de la nature qui m’entoure, je ressens l’amour de ceux que j’aime et qui sont là! La sève à nouveau circule dans mes veines, bleue. Là, devant mes pas, il y a un avenir, un nouveau, un magnifique chemin s’ouvre vers de nouveaux horizons, des horizons en bleu… Confiance! N’ayez plus peur…

Où es-tu?

OU ES-TU?
par Dominique

Ma femme et moi avons quitté les journées de M1 et M2, conquis d’avoir entamé une exploration de nous-mêmes et d’avoir expérimenté en bonne compagnie combien l’autre est nécessaire pour se connaître. Nous nous sommes ainsi abreuvés à la source en vérifiant avec émerveillement ce que la Genèse raconte depuis si longtemps: la vanité de vouloir s’en sortir seul. Le bon Dieu nous y cherche d’ailleurs: « où es-tu? », pointant le mystère que nous avons découvert. Nous ne savons en fait presque rien de la construction qu’est notre personnage, cachant sa vérité de feuillages.

Nous nous sommes pris au jeu des dévoilements des uns devant les autres. Il est moins austère et plus efficace que les raisonnements. Les rites des rencontres, épatants, facilitent la parole, jettent des ponts, alors que nous sommes installés naturellement derrière des murailles qui enfouissent les cœurs, maçonnées inconsciemment par nos histoires, pour se protéger des affronts à nos grâces initiales. Un architecte parlerait des leurs conséquences en styles fondamentaux plus ou moins mélangés et ornés.

Même si nous n’avons abattu qu’un premier mur, quelle joie d’avoir conscience d’être déjà plus vrais, apprenant en quelques traits que ces cœurs si protégés sont tous aimables malgré de belles différences! N’est-ce pas gagner ainsi un peu de miséricorde sur soi et les autres et ensoleiller les vies?

Saint Bernard nous engage à poursuivre et abattre les autres murs: « Nul savoir, si étendu qu’il soit, ne permet d’atteindre à la plénitude de la sagesse, sans la connaissance de soi-même. » Autrement dit, la connaissance de soi n’est pas évidente. « Aussi est-il naturel que l’homme tende à se clore partout dans une sphère » comme le dit Stanislas Fumet dans L’impatience des limites. A nous de prendre les moyens d’en sortir!

Casse pas la tête !

CASSE PAS LA TETE !
par Luc
de base 1

C’est juste avant mon déplacement en Nouvelle Calédonie que j’ai souhaité écrire ce petit témoignage personnel, certainement face à une situation de départ vers l’inconnu qui bouleverse un peu les équilibres…

Avant toute chose je souhaite remercier ma femme qui a pu m’orienter sur l’ennéagramme car sans son aide, ses conseils et cet outil fantastique je n’aurais jamais aussi bien cerné et compris mes réactions. Celles-ci m’auraient sans doute entraîné dans un puits sans fond, pensant que c’était comme çà et qu’on ne pouvait pas changer… mais si on est conscient des problèmes on peut toujours s’améliorer et l’ennéagramme en a été en grande partie la clé .

Marié depuis seize ans et père de six enfants, militaire , 43 ans. J’ai pensé pendant longtemps que tout était très binaire, bien/mal, fainéantise/travail… que le mot repos n’existait pas vraiment, qu’il fallait tout faire à fond. Dans toute situation j’ai l’impression qu’il y a toujours une remarque, réflexion ou critique à faire non pas pour faire de la peine, vexer ou sortir sa science mais plutôt parce qu’il y a toujours mieux à faire, une façon de tendre vers un certain perfectionnisme. C’est d abord à moi-même que je me fais des réflexions et avec moi que je suis le plus dur finalement.

Le réflexe de scanner dans une pièce ce qui ne va pas, sur la tenue d’un enfant, sur la recette d’un plat, les travaux que l’on fait dans la maison, le travail des autres… Je me sens comme obligé de corriger la moindre erreur et tout cela crée de la tension en moi mais aussi pour les autres.  Au point de dire par exemple à mes enfants: puisque tu fais mal je préfère le faire, mais du coup on doit être partout à s’en épuiser et finalement l’enfant n’a pas vraiment appris en essayant et il n’aura pas assez confiance en lui. J’ai entendu souvent de moi que je suis tendu, que lorsque je rentre dans une pièce cette tension se ressent, que je suis plutôt raide, et ne sais pas me détendre (et même que j’ai la ride du lion…). C’est vrai et tout cela conduit finalement à focaliser sur le négatif au lieu du positif et crée une forte souffrance et tension intérieure.

J’aime l’histoire et j’ai tendance à me reconnaître dans le personnage qui sera le plus proche de mes réactions, Louis IX, saint Louis, est de fait un modèle: comme lui, je n’arrive pas à supporter l’injustice, tout ce qui n’est pas ordonné sur le temporel comme le spirituel. Lorsque j’entreprends un travail il faut le faire et bien le faire parfois au risque d’aller dans trop de détails et j’ai une grande difficulté à déléguer: forcément ça ne sera pas fait correctement.

Tendance à beaucoup donner, s’investir, mais du coup c’est oublier de prendre soin de soi, ne pas savoir dire non, se détendre tout simplement. Etre dans l’action et le contrôle permanent devient épuisant pour soi et les autres. On se reposera au ciel, disais-je si souvent… Ce qui finalement consistait à ne jamais prendre le temps de se reposer, comme si c’était une honte ou humiliant de devoir s’arrêter ou se détendre comme si on serait jugé d’avoir fait une petite sieste ou juste rien fait d’actif dans la journée… S’interdire de souffler et apprécier le moment présent, écouter de la musique ou se poser avec un livre par exemple m’était vu comme improductif, comme si tout mérite ou réussite était possible que dans l’action ou dans un résultat concret et visible, dans le jour d’après, dans l’anticipation .

« La question n’est pas de savoir si il y a une vie après la mort, écrit Moussa Nabati, mais s’il y a une vie avant la mort.«  Ce qui me fait rebondir sur un extrait de la liberté intérieure de Jacques Philippe: « On ne peut pas véritablement programmer sa vie, on ne peut que l’accueillir instant après instant. La seule chose qui nous appartienne , en fin de compte, c’est le moment présent. Il est le seul lieu où nous puissions vraiment poser des actes libres; il n’y a que dans l‘instant présent que nous sommes vraiment en contact avec le réel. »

Si j’ai souvent entendu le mieux est l’ennemi du bien, j’avais du mal à l’appliquer dans mon logiciel. J’essaye aujourd’hui de me l’appliquer, car finalement rien de ce monde n’est parfait et je pense que je me suis épuisé à rechercher une forme de perfection/contrôle dans ce que j’entreprenais, au risque de gâcher l’essentiel car cette perfection est inatteignable. A tout vouloir défendre, on ne défend rien disait un général en Normandie en 1944, alors à tout vouloir contrôler on risque de ne plus rien contrôler du tout… Chers amis de base 1, lâchez-prise, soufflez, respirez, détendez-vous et surtout souriez! Casse pas la tête, comme ils disent en Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire: prends ton temps, détends-toi, pas de stress, tranquille…

 

 

 

Je n’ai jamais souffert

JE N’AI JAMAIS SOUFFERT !
par Stéphanie
de base 7

Rigoler est la seule façon de voir le monde en couleur et d’oublier ses souffrances, de ne pas rentrer au dedans pour ressentir une émotion. A quoi sert de pleurer si ce n’est que pour nous faire du mal? Bannir la souffrance par le rire, par la joie. C’est comme ça que la vie doit être menée. A quoi sert la négativité? Si ce n’est à ne plus pouvoir avancer. Rester optimiste face à la vie. Sourions et la vie nous sourit! A quoi bon pleurer sur son sort lorsque l’on est en vie et que l’on peut conquérir le monde à la découverte d’une multitude de possibilités. Nous avons cette chance de vivre, de respirer, de sourire, alors profitons! Arrêtons de nous focaliser sur une seule passion ou un seul intérêt lorsque la vie nous montre qu’on peut profiter de tout, papillonner, butiner. Le temps défile à une telle vitesse, alors dépensons notre énergie et ne restons pas assis. Quelle perte de temps! On n’enferme pas un oiseau dans une cage, le jour où la porte s’ouvre, l’oiseau s’enfuira. Laissez-le libre car un jour il arrêtera de chanter.

C’est ainsi que j’ai mené ma vie, jusqu’à ce que mon corps fasse stop. Burn out. Classique. Je l’avais mené au bout, il m’a arrêtée. Des années de souffrances ignorées, de deuils non faits s’étaient accumulés et mon quota était dépassé. C’est alors que j’ai découvert l’ennéagramme, et que j’ai pu commencé à renaître. Lors de cette découverte, j’ai vu toute ma vie défiler: je n’avais pas pris conscience de toutes les souffrances enfouies, des enfermements que je ne voulais pas voir. Je suis tombée au plus bas, moi qui aimait tant la vie et qui souriait et rigolait à n’en plus finir. J’étais ce rayon de soleil, cette chaleur que je donnais à tous ceux qui m’entouraient: faire le clown, c’est ce qui me faisait vivre, vibrer. J’ai continué un peu de temps à dire que d’ailleurs je n’ai jamais souffert, que ce n’était rien, qu’il y a toujours pire ailleurs. Et quand les circonstances m’empêchaient de sourire, je m’effaçais, construisant peu à peu ma prison intérieure.

Le réveil n’a pas été brutal, tout s’est fait en douceur. Mon mental, c’est à la fois ce qui m’enferme : « la seule vie qui soit passionnante est la vie imaginaire », comme l’écrit Virginia Woolf; et ce qui me permet de me sortir de ma prison intérieure. J’ai réfléchis, écouté, puis j’ai ouvert les yeux, j’ai travaillé. Je voulais m’en sortir, arrêter tout ce que j’avais élaboré: une vie imaginaire où je me mentais à moi-même, à mon entourage, en criant que j’étais heureuse et que tout allait pour le mieux.

C’est là que j’ai su m’arrêter. J’ai appris à respirer, à ne plus bouger, à me recentrer, à vivre ici et maintenant sans imaginer ma vie. J’apprends à accueillir l’émotion la plus basse, recevoir son message et savoir qu’en faire. J’ai arrêté de dire ce n’est pas grave, j’ai affronté les conflits pour obtenir des réconciliations, j’ai senti mon cœur palpiter, j’ai eu ma première colère, j’ai pleuré de tristesse. C’est ainsi que j’ai trouvé la paix avec moi-même, pour être en paix avec le monde qui m’entoure. Cela fait un bien fou de pouvoir m’arrêter et apprécier juste le moment ici et maintenant sans penser au lendemain.

Hier, j’ignorais mon corps, je perdais ma respiration aux moindres paroles. Aujourd’hui, l’ennéagramme m’a permis de comprendre pourquoi et la méthode Vittoz m’a redonné accès aux sensations de mon corps, à des pensées plus claires, et ainsi à rejoindre mon cœur au plus profond. Je n’ai pas changé, j’ai trouvé le calme.

C’est alors que la foi a pu m’envahir comme une lumière. J’ai eu cette chance de vivre deux jours formidables en Module 2 auprès des panélistes et de mes amis de base 7. L’articulation de la connaissance de soi et de la vie de foi m’a procuré une chaleur et des réponses aux questions que je me posais. J’ai dit en panel que j’étais athée depuis des années, mais cela aussi est un mensonge : je n’y avais juste pas accès, je l’avais enfoui avec le reste. Alors le chemin est encore long: pendant 38 ans j’ai essayé d’avancer à la force du poignet, mais j’ai compris aujourd’hui qu’on ne s’en sort jamais seul. Merci à la thérapie du Docteur Vittoz et à l’ennéagramme articulés à la vie de foi! C’était un moment formidable.

Abba, le retour

ABBA, LE RETOUR
par François

 

 

A l’occasion de la sortie du nouvel album d’Abba, Voyage, quarante ans après le précédent, retour sur une success-story pop plus complexe en réalité qu’au premier abord.

Il est délicat de se lancer dans des hypothèses quant aux types et sous-types des quatre membres d’Abba de leur vivant. Je prends donc le parti de laisser à chacun son mystère et de me risquer à une hypothèse de groupe, comme on peut le faire d’un pays ou d’une communauté par ce qui se dégage de leur histoire et de leur musique; par analogie. Ici, clairement, c’est l’hypothèse 3 en survie qui m’apparaît.

Tentative d’explication.

Abba c’est d’abord un pays, la Suède. Notre base de l’ennéagramme est influencée par l’environnement dans lequel elle s’est développée (cf pour nos stagiaires les trois cercles horizontaux de la personnalité): ne pas oublier que la culture suédoise est gentille, lisse, très social-démocrate, bref sans aspérités (avec d’heureuses exceptions comme le cinéma de Bergman). Et que la base 3 s’adapte à son environnement.

Abba c’est ensuite un premier duo: Björn Ulvaeus et Benny Andersson qui composent ensemble une poignée de chefs d’œuvre à la fin des 60’s et qui s’enferment des semaines en studio vivant une intimité musicale rare.

Et puis Abba, ce sont deux couples: Björn épouse Agnetha (la blonde) et Benny Frida (la brune). Deux couples avec enfants, qui vivent une vie bien rangée à la maison et en studio. Pas de drogue, pas d’alcool, du sexe mais seulement en couples, mariés. Tout cela tranche avec la permissivité sans limite des 70’s. Un ensemble qui fait assez penser au sous-type survie.

Abba c’est surtout une machine à tubes, une entreprise incroyable. Avec leur manager Stig Andersson qui est un copain et participe parfois à la composition des arrangements, le groupe enchaîne les succès. Mais Abba c’est aussi une machine à fric qui révulse à l’époque le monde du rock. Prises de participation dans des entreprises pétrolières, construction d’un petit empire économique. Pas de souci, les familles sont bien à l’abri. Le mot sécurité du 3 en survie résonne allègrement.

Ce qui est passionnant c’est de considérer leur musique sous cet aspect-là également. Le côté kitsch, le mauvais goût des arrangements qui se veulent absolument grand public, consonnent avec celui des tenues, paillettes et autres fanfreluches. C’est d’autant plus intéressant que les premiers morceaux du duo, certes composés dans les 66-68, âge d’or d’une pop baroque à l’orchestration de haut-vol, faisaient montre d’une grande finesse de réalisation. Il faut se rendre à l’évidence: ce kitsch a été un choix, un choix pour toucher le plus grand nombre, des lycéennes fleur bleue aux ménagères en blouse. Et ça a marché. Et cette capacité à assimiler les codes de la mode disco et de la variété internationale, traduisent une exceptionnelle faculté d’adaptation. Mais pas dans un sous-type social car Abba n’est absolument pas concerné par le prestige. Le monde de la musique les regarde de haut: eux, ils vendent des disques, le reste leur est indifférent.

Mais on ne saurait en rester là. Les émotions sont très présentes dans la musique d’Abba, mais elles doivent passer au crible de la mise en mots, de la mélodie, mais aussi des arrangements qui viennent la recouvrir, la masquer, voire la contredire pour qu’elle ne soit jamais à nu. Comme si Björn avait volontairement travesti ses pépites mélancoliques derrière un voile de kitsch et de mauvais goût, pour que la tristesse insondable des morceaux ne soit pas repérée. Le trésor est caché, inviolable, peut-être même au groupe lui-même: accéder à l’émotion telle qu’elle est pourrait entraver l’efficacité. L’émotion est le moteur, mais elle est réprimée.

Le paradoxe est donc que, par goût d’une certaine réussite et d’un certain conformisme, mais aussi par souci de cacher ce qu’ils avaient de plus intime à livrer, les membres d’Abba ont déguisé leurs pépites pop en ritournelles de supermarché. Ils ont atteint ainsi leur objectif de réussite matérielle, à travers les émotions les plus profondes, sans dévoiler leur intimité. Et, réussite ultime, le monde du rock qui a méprisé Abba pendant des années reconnaît la beauté indémodable et la profondeur de leurs mélodies.

Pour finir, une anecdote frappante. Un des tubes d’Abba, une de leurs chansons les plus poignantes est The Winner takes it all qui évoque la séparation du couple Björn-Agnetha. Et bien, Agnetha ose la chanter les larmes aux yeux à côté de son mari dont elle se séparait, tandis que lui a toujours nié que leur histoire avait inspiré la chanson, contre toute évidence…

NB
Sans doute ne suis-je pas objectif mais quand ma fille, de base 8 en tête-à-tête, chante cette chanson avec pour seul accompagnement sa guitare acoustique, c’est comme si l’émotion d’Abba pouvait s’autoriser à se manifester sans artifice, avec force et douceur.