Archives de l’auteur : Valérie Maillot

Contempler la nature

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Christophe André est médecin psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne et précurseur de l’introduction des méthodes de pleine conscience en médecine comme dans la vie de tous les jours. A l’instar de la méthode Vittoz, il propose de voir, entendre, toucher, sentir, goûter la nature pour développer notre capacité de présence, de contemplation et de gratitude.

imgres« En été, des occasions illimitées nous sont offertes de méditer sur et dans cet univers foisonnant qui est le nôtre. Une manière de laisser la Création nous apparaître dans toute sa beauté. 

On peut simplement s’allonger et contempler la variété de ce qu’on nomme, par de pauvres termes génériques herbes ou insectes, et découvrir la merveilleuse richesse de ce petit monde. Ne rien penser : juste s’allonger, observer, s’immerger dans cet univers discret, foisonnant d’activité…

On peut aussi prendre le temps d’écouter longuement les bruits des soirs d’été : cris d’oiseaux et d’enfants, bavardages joyeux dans le lointain, moments de paix et de silence…

On peut contempler la nuit et les étoiles, évidemment. Prendre conscience que cette beauté du ciel nocturne ne nous est apparue que parce que la lumière du soleil a disparu. Beau message à méditer pour tout le reste de notre existence, bien au-delà de l’été : parfois, ce qui ressemble à un retrait peut n’être qu’un prélude au dévoilement de merveilles plus grandes encore que celles que nous avons perdues.

On peut enfin, et c’est mon exercice préféré, méditer face au soleil levant, face à qu’Homère appelait « l’aurore aux doigts de rose ». La vie moderne nous éloigne souvent de l’aube : soit nous nous levons trop tard, et il ne nous reste que les crépuscules ; soit nous le faisons, mais pour partir travailler, et nous n’avons alors pas le temps de la contemplation. Mais l’été et les vacances sont une occasion unique de redécouvrir la merveille du lever de soleil. Nous pouvons bien nous lever tôt : il nous restera toujours la sieste, autre plaisir de l’été. Alors, dans le calme de la nuit finissante, nous pourrons contempler l’illumination progressive du ciel : lueurs pâles au levant, arrivée de la lumière, percée des premiers rayons, réchauffement progressif du monde. Un petit remake de la Genèse, où Dieu dissipe les ténèbres. Que nous pouvons savourer en pleine conscience, en nous reliant tranquillement à notre souffle (autre remake, car tout commença quand Dieu souffla en nous « une haleine de vie ».

En prenant conscience de tout notre corps qui respire dans le soleil levant, en nous sentant simplement vivants. Et en réalisant, quoi qu’il nous soit arrivé auparavant, quoi qu’il nous arrive désormais, que c’est une grâce et une merveille d’être là, à cet instant. Gratitude et bonheur infinis… »

Christophe André, La Vie, 3 juillet 2014

 

Sœur Adèle : s’aimer soi-même

1010122_712876752123074_6969792274050357159_n« Le bien ne fait pas de bruit, la force de l’amour s’exprime dans la tranquille discrétion du service quotidien. » Ce mot accompagne cette phrase de saint Jean-Paul II. Tout simplement, parce que j’ai à cœur de partager un peu plus après cette session. A nouveau merci pour cette session, pour votre accueil et le chemin parcouru grâce à votre pédagogie.

Je suis revenue heureuse. Le Seigneur m’a rejointe au-delà de ce que je ne pouvais imaginer (il y avait tellement de peurs en moi). Ce fut de l’inattendu. Et j’ai été confirmée sur un chemin d’acceptation de ce que je suis. Que de fois, je me suis dit que j’aurais aimé être d’une autre base, et que ce serait plus facile à vivre. Merci Valérie pour cette belle parole adressée à chacun(e) : «Bienvenue chez vous.» Cette parole est bonne pour moi. Je la garde précieusement.

J’ai pu voir des fruits pendant cette session qui m’ont réconfortée. Cela fait près de quatre ans que je chemine, pour une connaissance de soi, avec l’ennéagramme. La découverte de Vittoz, depuis un an, me permet d’avancer avec détente et simplicité. Deux mois après cette nouvelle session d’ennéagramme, j’avance doucement et autrement. S’apprivoiser, découvrir ses ressources secrètes, acquérir de nouveaux réflexes, cela me demande de la patience… de la confiance… et de la bienveillance…

Cette session avec vous, François et Valérie, et votre témoignage de la fin de session m’ont confirmée que j’étais sur le bon chemin. Je me suis sentie encouragée. Lorsque je suis tentée de baisser les bras, je repense à votre témoignage et je repars. Merci aussi Valérie pour cette autre parole : « C’est le travail de toute une vie », pour les pistes de travail (l’observateur intérieur commence à se mettre en place) et les exercices Vittoz. Merci aussi pour le livre de l’ABC de l’ennéagramme. Il m’aide par sa clarté.

Quel chemin pour laisser se déployer la grâce de Dieu et la vie !

New-York : métaphore de la base 3

578556_648496545195621_1130813277_N_cropNEW YORK
Par Jean-Luc, de base 3

Le 3 ? New York, la grande ville qui brille et scintille. Ses gratte-ciels, ses ponts immenses, Central Park, son activité trépidante jour et nuit, son pragmatisme, son quartier des affaires, sa statue de la Liberté, ses espaces bohèmes comme Greenwich village… Le 3 vit d’émotions comme New York de pulsations. Les deux se confondent. Ce qui compte c’est le rythme dense, parfois dément. Nous pouvons tout. Nous voulons tout. Nous avons tout. Réussir ou mourir. Pas d’alternative.

En apparence… hélas.

New York est visible de partout, désirée de tous, connue universellement. Elle est le phare qui illumine – étonnamment – le monde. Sa réussite a nourri le rêve de millions de migrants. Little Italy, China Town… hommes et femmes sont venus s’installer chez nous fuyant la misère, la maladie… Car chez nous, ils avaient plus de chance de réussir qu’ailleurs. Nous étions le refuge, la chance renouvelée, le nouveau matin et la compréhension, la force du don, la volonté absolue. Car New York derrière sa dureté est tendre et amoureuse.

new-york-cityA New York, tout le monde a sa chance à condition de travailler dur. Tout est pensé pour aller vite, pour être efficace, fonctionnel, organisé. Et si cette belle ville attire, c’est parce qu’elle a réussi et gagner tous les défis qui se présentaient à elle. Elle a absorbé toutes les contraintes et sublimé les solutions. Elle a su nourrir la réflexion et aussi été capable de souder les poutrelles d’acier des gratte-ciels. Très pratique New York ! Cette belle énergie se ressent partout. La veine est sous pression. Dans les parcs les gens courent le matin. Il faut rester en forme, solide, pour croquer la vie à pleine dent dans Big Apple.

Avec quand même une crainte… petite mais terrible : l’échec.

Il y a des échecs. Un pont mal étudié, lancé trop vite et qui n’a jamais atteint l’autre berge. New York en a abandonné la construction pour rebâtir à côté un pont plus important, bien pensé, avec ses différents tabliers où passent les voitures, les camions, les trains. Il y a ces quartiers où des immeubles entiers, vétustes, lépreux sont abandonnés. Pas rasés. Pas démolis. Quel intérêt ? On reconstruit à côté : plus grand, plus beau, plus haut. Et on oublie ces échecs architecturaux devenus des ghettos. Très vite. Nous ne les voyons même plus : voilà qui serait bien trop douloureux. Nous nous mentons à nous-mêmes avant de mentir aux autres. La douleur…

mPourtant notre ville n’est-elle quand même pas la plus belle ? La plus puissante ? La mieux en vue ? Dans l’activité de Wall Street, l’argent, le succès, les prises de bénéfices nous intéressent moins que le pari, que le défi, que le jeu à condition de gagner. L’enjeu est de posséder le monde et ses ressources. La conquête est notre maître mot. Mais en fait ce jeu, nous le savons (devenus lucides), est sans fin et vain. Une fois gagné un défi, nous nous sentons vide, dépouillé, dépossédé. Finalement c’était si facile. Était-ce un vrai défi ? Mais là nous nous mettons à nu. Insupportable. Vite un nouveau projet !

New York est une ville de l’énergie, de la puissance, de l’inlassable recommencement. Avons-nous élevé un nouveau gratte-ciel que nous en avons déjà projeté trois ou quatre, dix, cent autres. Tout le monde à sa chance, oui. Artistes, chercheurs, hommes d’affaires, Noirs, Blancs, Hispanos, Asiatiques à condition d’être le meilleur ou de travailler à l’être. Tout le monde est accueilli avec intérêt, empathie, sincérité à condition de partager la règle commune de l’ambition, de la réussite. Sinon, allez vivre ailleurs.

Pourtant, parfois la désillusion est amère. Notre ville est-elle aimée pour elle-même ou parce que tout lui réussit ? Parfois, la fatigue se fait sentir, les embouteillages culminent avec un ciel qui s’alourdit de menaces. Quel choc lorsque nos deux tours de World Trade Center ont été foudroyées. Ainsi donc, tout le monde ne nous aimait pas ? Quelle stupeur. Quelle incompréhension. Et cependant… au lendemain de cette tragédie, nous avons déblayé les gravats, pleuré nos morts, pansé nos blessures et recommencé à bâtir. Avec pudeur et émotion. Nous n’oublierons pas. Jamais. Et nous ferons justice impitoyablement. Car même à genou, nous nous battons encore, puis nous nous relevons. Et nous savons nous venger.

Sachez-le :
New York est inépuisable. Indestructible.
New York brille.
New York vous aime et vous accueille. Jouez le jeu. Vous serez heureux.
Et aimez-nous ! Alors nous nous abandonnerons dans vos bras pour nous découvrir autrement. Nous avons tellement besoin de vous. Désespérément. Ainsi nous nous retrouverons ailleurs que dans la réussite ou le travail.
Welcome !

 

Les deux pieds sur terre

ENNEAGRAMME ET SPIRITUALITÉ CHRETIENNE

Icare, sculpture à Bose

Icare, sculpture à Bose

Cela faisait longtemps que je rêvais d’animer une session dans un cadre monastique où cette méthode de connaissance soi qu’est l’ennéagramme aurait pu être articulée, sans confusion ni séparation, à une démarche spirituelle. Non pas à la façon d’Icare, ce personnage de la mythologie grecque mort d’avoir tenté de se rapprocher du soleil, mais avec les deux pieds bien plantés en terre, dans le réel et le présent. C’est chose faite, grâce à Panorama, car j’ai eu la joie d’animer avec François une session pour les lecteurs du journal au monastère de Bose, près de Turin. Retour sur ce temps fort.

Eglise du Monastère de Bose

Eglise du Monastère de Bose

Le principe était simple : transmettre l’outil de manière neutre, comme nous avons l’habitude de le faire, et proposer aux 57 stagiaires d’approfondir leurs découvertes à travers temps de silence et de prière, accompagnement par des moines et moniales de la Communauté, offices… Ainsi les domaines naturel et surnaturel seraient bien distincts grâce à la distinction des temps, des lieux et des personnes : chacun pourrait à sa guise et à son rythme faire les ponts intérieurs nécessaires.

Enzo Bianchi

Enzo Bianchi

Et c’est de manière très naturelle et harmonieuse que les choses se sont mises en place. Un thème était abordé en session, et la lecture spirituelle proposée à l’office s’en faisait l’écho. L’Évangile était proclamé à la messe et trouvait son incarnation dans l’étude qui suivait. Jusqu’à certaines clés de la pratique de la Lectio divina que nous donna Enzo Bianchi, fondateur de Bose, pour nous faire entrer plus avant dans l’intelligence des Écritures et son rapport avec la vie quotidienne de chacun.

Communauté de Bose

Communauté de Bose

Mais plus encore que les enseignements, c’est sans doute la prière commune avec les près de 80 membres de la Communauté, également répartis entre moines et moniales, qui servit de ciment invisible et de creuset intérieur. La messe quotidienne célébrée par le Père Paul, stagiaire, l’émouvante musicalité des psaumes en italien à deux voix mixtes trois fois par jour ; mais aussi la vie quotidienne partagée avec les frères et sœurs de Bose : repas, conversations, vaisselle, visites des ateliers d’iconographie… ont permis cet équilibre subtil entre les langages du cœur, du corps et de l’esprit dont parle le Pape François.

5_cropEntre nous, la dynamique du stage a fait naître une communion étonnante : trois jours après le début du stage, un groupe était né, des amitiés s’étaient tissées dans l’humilité, la bienveillance et la vérité. Point d’orgue de cette fraternité : la dernière soirée, consacrée à une veillée de prière, où Jean-Baptiste de Fombelle, rédacteur en chef de Panorama eut le génie de laisser à chacun l’initiative. Prières et chants spontanés, louange et intercession, psaumes et lectures de Saint Paul sont montés vers le ciel devant le Christ en majesté de l’Eglise de Bose, dans une communion simple, profonde et joyeuse. Chacun a pu déposer son fardeau, demander les grâces nécessaires et remercier de ce qu’il est, selon le psaume 139 : « C’est Toi qui m’as formé les reins, qui m’as tissé au ventre de ma mère ; je te rends grâce pour tant de mystère : merveille que je suis, merveille de tes œuvres. »

6Le tour de piste final manifesta avec émotion et sobriété les fruits de cette session : joie et paix reçues dans la contemplation du mystère de chacun, à travers une démarche humble et joyeuse de connaissance de soi. Nous sommes redescendus dans la vallée chacun – organisateur, animateurs et participants, différents de ce que nous étions à l’arrivée; avec des clés nouvelles pour mieux nous connaitre nous-mêmes et mieux comprendre les autres, une plus grande liberté intérieure.

« Gloria a te, Cristo risorto ! »

Homère et l’Ennéagramme

 

Homère

Homère

 

LE VOYAGE D’ULYSSE A LA LUMIERE DE L’ENNEAGRAMME

Par Xavier Villette
Consultant en relations humaines

De quand date l’ennéagramme ? Entre ceux qui prétendent que l’ennéagramme est la construction mentale d’un aventurier du XXème siècle, et ceux qui vont rechercher des traces chez les pères de l’Eglise, en passant par les soufis, par les mathématiciens musulmans du moyen âge… la liste des possibles est longue.

imgresCet été, j’ai eu l’occasion de faire un pas de plus sur ce sujet, en étudiant de plus près un des plus grands textes du patrimoine littéraire de l’humanité, l’Odyssée d’Homère. Une amie avait piqué ma curiosité en me parlant d’un coach américain, Michael Golberg, qui a écrit sur ce sujet. Je me suis donc armé d’un exemplaire de l’Odyssée, en français, et de deux ouvrages de Golberg, en anglais cette fois, et j’ai lu. C’est impressionnant. En voici l’histoire, un chapitre à la fois.

Chapitre 1 : Les mangeurs de Lotus ?

Ulysse quitte Troie, commet encore quelques massacres chez les Cicones, puis prend la mer sérieusement pour se rendre à Ithaque et retrouver Pénélope. Un voyage de quelques semaines qui va durer… 10 ans. Il fait une première étape chez les Lotophagesce peuple si gentil, sans conflits, mâcheurs de Loto, cette activité d’apparence anodine par laquelle ils se « narcotisent », au point d’oublier qui ils sont. Ils n’ont d’ailleurs guère de courage pour en sortir (acédie). Ce peuple ne vous rappelle rien ?

Chapitre 2 : Ulysse chez les Cyclopes

Laissant les Lotophages, Ulysse gagne donc le pays des Cyclopes. Changement de décor. Ici la nature est luxuriante et sauvage. Polyphème, puissant géant à œil unique, qui vit en maître de son petit univers, qui ne craint pas plus les dieux que ses adversaires, une sorte de force brutale, tout en excès, fort peu attentif aux dégâts collatéraux de ses colères. Son œil unique voit l’adversaire devant, mais pas sur les côtés. Trop sûr de sa force pour imaginer même qu’Ulysse puisse lui faire du mal, il ne peut être vaincu que par ruse. Une fois affaibli, il crie vengeance. La force brutale, le refus de se voir faible, l’excès, voyons, voyons…

Chapitre 3 : Eole, l’île qui flotte sur la mer

Ulysse reprend la mer et aborde sur les rivages d’Eole, l’île qui flotte au gré des vents, là où les habitants font la fête tous les jours, et vivent dans une attitude de joie apparente, toujours prêts à évoluer selon le vent, à saisir l’opportunité nouvelle. Ils regardent la vie du bon côté : pourquoi ce bonheur ne durerait-il pas toujours ? Leur roi aide Ulysse à partir. Il lui permet même d’avoir en rêve la vision d’Ithaque mais se préoccupe assez peu des modalités pratiques pour y retourner vraiment, par un long voyage. Ulysse est rejeté sur l’île, après une faute de son équipage, qui a transgressé les conseils du roi. Tant pis pour eux. Le roi s’est détourné de ce problème qui commence à le lasser. Ah, si tout le monde pouvait voir la vie du bon côté comme les éoliens !

Chapitre 4 : Méfiance en Lestrygonie

Ulysse repart et arrive en LestrygonieL’entrée du port est plus inquiétante qu’accueillante. On sent que la population vit dans une attitude de doute et de peur, a priori défensive. Elle craint toujours le pire. Le roi est paranoïaque. Il attaque et détruit la flotte d’Ulysse à titre préventif. Ulysse ne sauvera qu’un navire sur douze. Homère a une vision bien noire de ce peuple-là. N’a-t-il pas aussi de bons côtés ?

Chapitre 5 : Circé ou les connaissances de la sorcière

Alors Ulysse arrive chez la sorcière Circé qui vit cachée au cœur d’une forêt, un peu en ermite dans son palais (château-fort ?), entourée de lions et de loups. Mais on n’envahit pas Circé sans risque ! Elle accueille les compagnons d’Ulysse mais c’est pour les ensorceler et les transformer en porcs (dans la mythologie, le porc est un vorace, un glouton qui ne pense qu’à se remplir l’estomac. Il n’en a jamais assez). Circé piège ainsi ceux qui sont obnubilés par leur quête jamais assouvie d’approfondissement d’un champ étroit de connaissances. Ulysse ne se laisse pas prendre. Alors Circé partagera avec lui son savoir, lui révélera des secrets qui lui permettront de se rendre dans le territoire des ombres, puis de traverser le pays des sirènes, puis d’éviter les dangers de Charybde et Scylla. Le savoir de Circé est grand, et quand elle est bien disposée, elle le partage. Encore faut-il parvenir à passer ses défenses et savoir comment l’aborder.

Chapitre 6 : L’Hadès et les sirènes

Circé coache Ulysse. Grâce à ses informations précieuses, il va être capable d’entrer dans le monde terrifiant, noir, des ombres des morts. Il va affronter la mélancolie des morts, leur désir si fort d’être différents de ce qu’ils sont et de ce qu’ils ont été. Il saura se protéger de l’envahissement des émotions. Il parviendra à sortir de là, ayant trié en lui-même les émotions auxquelles il donne droit de cité, et celles auxquelles il renonce.

Ayant fait le tour de ses propres ombres intérieures, Ulysse peut naviguer de nouveau. Il traversera le territoire des sirènes, il saura écouter la beauté suave et insoutenable de leur chant qui lui dit : « nous savons qui tu es profondément ». Lié au mât de son bateau, il ne pourra pas en modifier le cap, et échappera à l’écueil mortel de ne se tourner que vers lui-même.

Chapitre 7 : Charybde et Scylla

De Charybde à Scylla, seul compte de gagner, les pertes sont inévitables. Voilà bien un lieu où le problème n’est pas de méditer sur ses émotions intérieures. Là il faut réussir. Seul le résultat sera vu et apprécié. Il faut aller vite, ne pas s’arrêter, naviguer en évitant les écueils. La trajectoire droite n’est pas forcément la plus efficace. Louvoyer un peu en fonction des dangers est bon, puisque cela réussit. Bien sûr, il y aura des pertes au passage. Mais business is business, Ulysse est prévenu et il devra bien s’y faire malgré ses résistances. Il n’a qu’à se mentir un peu à lui-même : de toute façon il n’y a qu’une seule solution, foncer. La vitesse est primordiale. 

Chapitre 8 : Calypso, prisonnier d’un amour possessif

C’est sur l’île d’Ogigie qu’Ulysse est resté prisonnier 7 années. Malheureux homme : emprisonné dans la douceur de la belle nymphe, de jour comme de nuit. Calypso l’a recueilli mourant. Elle a su ce qu’il lui fallait, elle a répondu à tous ses besoins sans même qu’il ait besoin de les exprimer. Elle l’aime et se donne à lui et pour lui. Une seule chose lui est refusée : partir. Il est prisonnier de cet amour possessif. Elle espère qu’en l’emprisonnant elle en obtiendra son amour en retour. Il faudra l’ordre supérieur de Zeus pour qu’elle le libère, et c’est seulement là qu’il l’aimera et qu’elle sera vraiment heureuse de l’aider gratuitement, en toute liberté. Amour, emprisonnement, liberté, don de soi aux autres…

Chapitre 9 : Les Phéaciens ou « faire les choses comme il faut »

Enfin, Ulysse aborde en naufragé l’île des Phéaciens. Là, les choses qui méritent d’être faites méritent d’être bien faites. Ulysse n’aborde pas en conquérant. Il respecte les usages. Il se conduit correctement et humblement. Secouru par Nausicaa, la fille du roi, il va se rendre au palais de son père. Un palais parfait, comme tout le reste ici. Le roi comprend qu’il est de son devoir moral d’aider Ulysse, et s’y met aussitôt. Avant de partir pour Ithaque, Ulysse devra se résoudre à participer aux Olympiades de ses hôtes, qui sauront le pousser à donner le meilleur de lui-même. Puis les marins du roi, parfaits navigateurs, amèneront Ulysse à Ithaque, malgré l’opposition de Poséidon. Perfection, rigueur morale, idéaux élevés, toujours faire bien ou même mieux…

Conclusion : de quand date l’enneagramme ?

Vous les avez reconnus : de 9 à 1, dans l’ordre inverse, les 9 étapes du voyage d’Ulysse correspondent exactement aux 9 types de l’ennéagramme, et dans l’ordre inverse. Le mot ennéagramme n’est jamais cité. Il n’existait pas d’ailleurs. Et puis nous sommes dans un poème. Mais tout de même, la correspondance ne peut pas laisser indifférent.

Revenons à notre question de départ. De quand date l’ennéagramme ? Je ne le sais toujours pas. Mais Homère, que l’on situe quelque part entre 900 et 700 avant Jésus-Christ, semble nous faire un clin d’œil : quelque chose de cette pensée sur la personne humaine était déjà connu à ce moment-là

Il reste que dans l’ensemble, ces 9 descriptions sont le plus souvent très noires, alors que pour ma part je pense qu’il y a quelque chose d’un talent particulier de chaque type qui est donné comme une grâce au monde. Il fallait peut-être, pour compléter ce regard attendre Jésus-Christ.

 

Métaphore de la base 4

imagesUNE TAPISSERIE A L’ENVERS

par Aude, de base 4

Ma soif d’idéal, de beau et d’absolu a toujours été telle que mon enfance s’est passée à trouver qu’il ne s’y passait rien et qu’elle était la plus terne du monde.

A vingt ans, ce fut donc décidé : la tapisserie de ma vie serait la plus belle qui soit. Je m’y échinerai vaille que vaille. Comme si j’en étais le seul artisan.

safe_imagePendant vingt ans, j’ai travaillé dur, ne mangeant pas le pain de l’oisiveté, petite fourmi qui déplace plusieurs fois son poids pour ceux qu’elle aime. Pour que les choses soient belles, le mieux était de passer en 1. Mes nuits se perdaient dans l’entrelac des arabesques, le mariage des couleurs et les mouvements des animaux graciles. Souvent, je me reculais pour étudier la perspective, réfléchir aux tenants et aux aboutissants, conduisant l’ouvrage de mon mieux et n’hésitant pas à remettre plusieurs fois le métier sur l’ouvrage: épouse parfaite, mère parfaite… Il y avait des hauts, il y avait des bas, j’étais fatiguée. Mais on ne s’écoute pas lorsqu’on crée sa vie.

Pourtant, plus mon labeur avançait, plus l’objet de ma quête semblait s’éloigner, plus l’insatisfaction me gagnait, plus il y manquait quelque chose. ll y manquait même les beautés qui s’y trouvaient au départ… Certaines formes étaient disgracieuses, la plupart des couleurs étaient fades, les angles cassants, les contours ternes. Là où je n’aurais voulu qu’harmonie, paix et douceur, s’insinuaient dissonances, tristesse et colère. Et l’ensemble était plein de nœuds… Il y avait des hauts, il y avait des bas. J’avais dû me tromper quelque part, ce devait être de ma faute…

Un jour, plus grand que moi m’a visitée. Gratuitement. Sans bruit de parole, il a uni la lumière de sa divinité aux couleurs de mon humanité. Un désir infini s’est emparé de moi, un désir déjà comblé. « Tu es ma petite, ma toute belle, mon unique » m’a-t-il chuchoté à l’oreille. Et je me suis perdue dans son silence, dans ce cœur à cœur où mon âme se dilatait enfin sans que je n’ai rien à faire, qu’à recevoir, pleurer et contempler. Plus rien n’avait d’importance et j’étais prête à mettre le feu à ma tapisserie pour un si grand amour.

C’est pour cet amour alors que je me suis remise à mes fils, avec ardeur, sûre que mon ouvrage serait enfin beau, que mon travail allait porter… Et il m’a laissée faire, et il m’a laissée dire, répondant à mes soupirs, entretenant ma flamme jour après jour, me relevant à chaque chute. Quand je fus prête, doucement, paisiblement, il me fit comprendre que la plus belle des œuvres d’art se fait dans l’obscurité, dans le calme et la tranquillité ; qu’elle se travaille point par point et sur l’envers et que pourvu que l’ouvrier soit humble, confiant et souple comme un enfant, qu’il consente à ne rien voir ; il peut être sûr que chaque point conspire à la beauté du monde entier.

Alors j’ai vu ma pauvreté et je l’ai aimée.

Depuis, je sais que le lieu de la rencontre avec le bien-aimé, c’est ce point de l’instant, le seul qui rejoigne l’éternité et je ne me lasse pas de l’épouser. L’équanimité, cette mystérieuse vertu du 4, je la trouve dans le baiser à ce qui est donné ici et maintenant. Ma joie, c’est de me savoir petite et de me remettre sans mesure en celui qui sait répandre par les temps et par les lieux la beauté d’un amour indicible ; c’est de le laisser faire. Il y a toujours des hauts, il y a toujours des bas et plutôt que de lutter contre des vagues déferlantes qui seront toujours plus fortes que moi, je me réfugie aujourd’hui dans le silence et la paix de ce cœur en lequel je m’abandonne.

Le film : métaphore de la base 7

handsome man

 

 

LE FILM

par Philippe, base 7

Je suis comme un film…

Devant un scénario extrêmement riche, je veux tout, ne choisis pas. Je vois en chaque idée toutes les possibilités : un plan fixe large, un gros plan, un panoramique, un travelling. Entre ces possibilités je ne choisis pas. Je passe de l’une à l’autre avec des transitions habiles. Je rebondis, vais de l’avant, imprime au film un rythme éblouissant.

FilmEt si une scène me résiste, me met mal à l’aise, je la bâcle, ou même la supprime. Au montage, je sacrifie peu, joue de la redondance et imprime un rythme saccadé pour mettre dans le temps imparti tout ce que je peux y loger.

Il en advient un objet assez brillant, mais un peu vain. Où l’on peut prendre conscience, passé le choc de l’esbroufe, d’une tristesse mal assumée remplacée par une violence virtuose mais creuse et repoussante, d’une sensibilité atrophiée, d’un discours narcissique et somme toute contestable car peu audible.

Un 7 qui évolue est un film qui prend son temps. Un film qui regarde. Un film qui s’ouvre à ce qui est là, sans poursuivre une idée de scénario planifiée. Un film où un plan fixe peut durer, afin que, sur la pellicule, au-delà des corps agités, à travers les corps tranquilles, l’âme apparaisse.

Un film qui sacrifie au tournage mille idées brillantes pour ne garder que celles qui, ici et maintenant, s’imposent par leur incarnation dans un acteur ou une actrice. Qui accepte de suivre ce que tel ou tel acteur montrera, et qui n’était pas prévu. Qui se satisfaira de la pluie ce jour où le soleil semblait nécessaire à la prise, car cette goutte de pluie sur la joue de cette femme introduit une fêlure, un soupçon de tristesse qui donne au film sa vie, cette vie là, réelle, inattendue, non désirée mais présente.

Un film qui, au montage, élague, abandonne, coupe dans le vif. Un film qui a accepté de souffrir, ou plus exactement de vivre les difficultés du tournage et du montage sans les nier, ce qui occasionne une souffrance certes réelle, mais tellement moins effrayante que celle qui était fantasmée.

Un film qui respire, qui chante, qui donne à voir. Un film qui vit. Enfin !

Vous êtes la lumière du monde

 

Fra Angelico

Fra Angelico

« Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur. Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toutes limites. C’est notre propre lumière et non notre obscurité qui nous effraie le plus. Nous nous posons la question…Qui suis-je, moi, pour être brillant, radieux, talentueux et merveilleux ? En fait, qui êtes-vous pour ne pas l’être ? Vous êtes un enfant de Dieu.

Vous restreindre, vivre petit, ne rend pas service au monde. L’illumination n’est pas de vous rétrécir pour éviter d’insécuriser les autres. Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est en nous. Elle ne se trouve pas seulement chez quelques élus, elle est en chacun de nous, et, au fur et à mesure que nous laissons briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres la permission de faire de même. En nous libérant de notre propre peur, notre puissance libère automatiquement les autres. »

Marianne Williamson

 

Traverser l’épreuve

thLA VIE EN BLEU
Martin Steffens
Marabout

Enseignant la philosophie à Metz, Martin Steffens a un nom de sprinteur belge spécialisé dans les classiques flandriennes. On le connaît comme un des jeunes auteurs chrétiens les plus prometteurs, notamment grâce à un savoureux Petit traité de la joie. Avec La Vie en bleu, il nous introduit à une belle réflexion sur le sens de l’épreuve. Sans connaître l’ennéagramme ni Vittoz, il aborde la question en philosophe de manière étonnamment proche de ce que nous livrent ces deux outils sur la question.

thLe titre du livre dit beaucoup de cette éthique du juste milieu, du juste positionnement que l’on aime chez Aristote. On connaît l’expression la vie en rose ou celle qui décrit son contraire, la vie en noir. A contrario de ces deux postures extrêmes, l’une niant l’épreuve, l’autre s’y laissant engloutir, Martin Steffens choisit le bleu : bleu des coups que nous recevons de la vie, bleu du bleu de travail que l’on doit enfiler pour apprendre à vivre. Car ce que propose Martin Steffens ici est un chemin de vie : accueillir l’épreuve, la traverser, pour en sortir plus vivant.

Ce livre sera d’une grande utilité pour certains types de l’ennéagramme, à commencer bien sûr par le type 7. Les personnes de base 7 sont expertes pour tourner la page de la souffrance, sans se laisser le temps de l’accueillir. Aux 7, Martin Steffens explique que nier l’épreuve, la souffrance, qui peut être de l’ordre du deuil le plus éprouvant mais aussi de la pénibilité la plus anodine, c’est nier une part de vie qui est en nous. Il décrit cette manie de positiver : ce n’est pas grave, ça ira mieux demain qui n’est pas de l’ordre de l’espérance ou de la joie, mais du refus du présent réel pour un présent imaginaire ou un futur hypothétique. En 7, le risque est, en refusant l’émotion aversive (tristesse, douleur, ennui), de se nier tout court. En voulant arracher l’ivraie de la vie, déraciner en même temps le bon blé. Cette stratégie qui est à l’origine de la fuite du 7 dans les plaisirs et dans les projets, lui interdit ce à quoi il aspire, la joie, qui ne peut être vécue que dans la conscience du moment présent.

Il me semble que ce livre ne s’adresse pas qu’aux personnes de base 7, mais très particulièrement aux trois bases que Riso et Hudson nomment les « types assertifs » : 3, 7 et 8. Chacun à sa manière évite si ce n’est la souffrance comme en 7, plus généralement l’épreuve. En 3, c’est celle de l’échec qui est niée. On sait que le 3 et le 7 sont les deux types qui ont le plus de mal à vivre les émotions aversives et notamment leurs deuils: en 7 car cela fait souffrir, en 3 car cela est un frein à l’efficacité. Tous les deux sont menacés de prendre d’un coup en boomerang, à l’occasion d’une épreuve parfois minime, tous les deuils non faits pendant leur vie. C’est alors le temps des larmes, ce qui est inconfortable mais sain, ou, plus problématiquement celui de la dépression et du burn-out. Les 3 et les 7 doivent apprendre avant d’en arriver là, à accueillir l’épreuve, mais aussi à ne pas en sortir trop vite. Laisser le temps à la vie de faire son œuvre, de creuser son sillon…

Cette problématique est moins caricaturale en 8 qui, en tant que base privilégiant le centre instinctif, est plus facilement dans le présent et qui n’a pas peur de la souffrance. Mais il y a en 8, un profond déni de sa propre vulnérabilité qui verrouille la porte devant toute expression de faiblesse, ce qui constitue une manière très puissante de nier l’épreuve. Les 8 donnent souvent l’image de personnes fortes qui ne souffrent pas alors qu’elles se violentent profondément en niant la sensibilité et la vulnérabilité qu’elles croient ainsi protéger.

On pourrait dire que l’épreuve est pour chaque base de l’ennéagramme une occasion d’accueil de ce que mon ego a toujours voulu fuir : la possibilité de commettre une erreur en 1, l’éventualité de ne pas être aimé en 2, la confrontation à l’échec en 3, la banalité de la vie ordinaire en 4, l’hypothèse de ne pas tout comprendre en 5, la présence perpétuelle du danger en 6, les occasions de souffrance en 7, ma propre vulnérabilité en 8, l’existence du conflit en 9. Ainsi, l’ennéagramme nous apprend à repérer ce qui, au sein de notre existence, représente l’épreuve majeure et qui, pour une personne d’une autre base que la nôtre pourrait sembler anodin, ou du moins, pourrait être traversé plus facilement. Il nous apprend où se situe le nœud de notre humanité, où le combat spirituel s’engage. Car comme le dit le Père Pascal Ide, ma base de l’ennéagramme est l’endroit où je suis le plus béni, celui de mon talent, mais elle est aussi celui où je suis le plus attaqué, blessé, pécheur.

Apprendre à traverser l’épreuve est un défi de chaque jour, dans les petites et grandes circonstances de l’existence. Si l’ennéagramme nous donne une carte et une boussole pour nous orienter dans les méandres de notre vie intérieure, la méthode Vittoz nous donne les moyens de cette traversée. En apprenant à vivre l’instant présent par le biais du corps et de ses sensations, il devient possible de mettre à distance le mécanisme de défense de notre type qui n’a pour but que d’éviter la confrontation à l’épreuve majeure de notre personnalité. Accueillir ce qui est, y compris ses propres réactions inappropriées, et cela sans jugement, permet à chaque type de vivre l’épreuve qui lui est propre en la mettant à sa juste place: sans la nier ni la dévaluer, mais sans la surjouer non plus. Ce faisant, cette démarche qui spirituellement évoque celle de l’abandon, est le chemin de la vraie joie.

 

Orgueil et pauvreté spirituelle

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Père Jacques Philippe
LA LIBERTÉ INTÉRIEURE
Editions des Béatitudes, p. 146

 

« Nous naissons tous avec une blessure profonde, qui est vécue comme un manque, un manque d’être. On cherchera à combler ce manque par compensation : ce qui fait que chaque être humain cherchera à se constituer une identité compensatoire, différente de l’un à l’autre selon la forme de sa blessure.

On se fabrique ainsi un « ego » différent du « soi » véritable, semblable à une baudruche que l’on gonfle. Ce moi artificiel a certaines caractéristiques qui lui sont typiques : comme il est artificiel, il requiert une grande dépense d’énergie pour être entretenu, et comme il est fragile, il demande à être défendu.

L’orgueil et la dureté vont toujours de pair. La frontière de cette baudruche, loin d’être souple, est donc au contraire constituée de « tours de garde » pour protéger cette identité factice : malheur à celui qui la conteste, la menace, la met en discussion, gêne l’expansion de notre moi, il se verra l’objet de réactions violentes et agressives.

Quand l’Évangile nous dit que nous devons « mourir à nous-mêmes », il veut en fait nous dire que doit mourir cet « ego », ce moi fabriqué artificiellement, pour que puisse émerger le « soi » véritable, donné par Dieu. »