Archives de l’auteur : Valérie Maillot

Ciné de vacances ?

imgresLE PONT DES ESPIONS
Un flim de Steven Spielberg, 2015

Un archétype de base 9*
Par François

Faisons-nous plaisir! Le Pont des espions est sans aucun doute un des meilleurs films de Spielberg qui renoue ici avec le grand cinéma classique américain. Pas académique comme dans Lincoln ou La Liste de Schindler (deux bons films au demeurant), mais simplement classique, donc éternel. Un film idéal pour les vacances de Noël!

C’est l’histoire d’un avocat américain, James Donovan, qui se trouve commis d’office pour défendre un espion russe afin qu’il puisse bénéficier d’un procès équitable. Mais il se prend au jeu, défend son client avec ténacité et se voit proposer de jouer le Monsieur bons offices dans l’échange de son ex-client avec un pilote américain capturé par les soviétiques.

LA-BANDE-ANNONCE-DU-JOUR-LE-PONT-DES-ESPIONS_cropTom Hanks qui joue l’avocat incarne à merveille, me semble-t-il, la base 9 dans ce qu’elle a de plus beau. Etre commis d’office est une habitude chez les personnes de base 9, qui ont du mal à faire des choix et à prendre position, mais qui savent mieux que personne se mettre à la place de l’autre. On sent à chaque instant l’énergie corporelle qui culmine dans un des derniers plans du film lorsque Hanks est sur le pont dans la position vittozienne de l’homme debout, ancré au sol, comme insubmersible.

Avec son client, Donovan fait preuve d’une empathie sans pareil. Face à ce petit homme sans goût ni grâce, il est là, présent, et finit par attirer sa sympathie. Au cœur d’une affaire d’espionnage tendue et parfois violente, Donovan/Hanks traîne sa grande carcasse paisible en apportant autour de lui une énergie de sérénité qui tranche avec un entourage anxieux et électrique.

Dans les moments difficiles de la négociation, il n’entre jamais dans le conflit, garde une rondeur qui finit par déstabiliser ses interlocuteurs. Car c’est une des armes secrètes de la base 9 que déploie avec virtuosité Donovan: face à son chef au cabinet d’avocat, à la CIA, aux interlocuteurs communistes, il ne lâche rien. Je ne dévoilerai rien du film, mais je dirai seulement que rien ne l’arrête et qu’il continue sur sa lancée quoiqu’il arrive. Il est absolument sourd aux contradictions et comme il a une sacro-sainte horreur du conflit, il fait comme s’il n’entendait pas.

La tactique est royale ici, mais cette forme de résistance passive peut en d’autres cas jouer des tours aux personnes de base 9, quand l’immobilisme génère chez le protagoniste l’explosion qu’il voulait surtout éviter et le conflit qu’il cherchait absolument à contenir…

Ce qui est magnifique dans ce film d’un point de vue ennéagrammique est que Donovan réalise l’action juste, cette vertu de la base 9. Ce qui pourrait apparaître chez les personnes de base 9 comme une certaine paresse dans l’action peut s’enraciner dans un laisser faire et conduire dans le meilleur des cas à poser la bonne action au bon moment, au bon endroit.  C’est le cas ici: au lieu de défendre son client pour que les usages démocratiques soient saufs, il prend sa mission à cœur et la porte à son terme: sauver littéralement son client. Au lieu de se satisfaire de l’échange demandé par la CIA, il va viser plus, et faire ce que personne ne croit possible. Mais il va le faire à la 9: à son rythme, plutôt lentement, comme un diesel que rien n’arrête.

Et puis, comme beaucoup de personnes de base 9 qui hésitent en stage avec la base 7, il manie volontiers l’humour. Ce qui permet de différencier l’un de l’autre, c’est la motivation profonde, la raison pour laquelle l’un comme l’autre peut lancer de petites blagues à tout bout de champ. En base 7, l’humour est un facteur de plaisir pour soi et pour les autres, qui lui permet de désamorcer sa peur de l’enfermement ou de la contrainte. En base 9, l’humour est une arme de pacification, elle permet de détendre les atmosphères, participe à l’harmonie et, au final, évite à tous prix, le conflit.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

Le caméléon : métaphore de la base 9

334724LE CAMÉLÉON, LA PRISE ELECTRIQUE ET LE GÉNÉRATEUR

par Yannick, de base 9

Le caméléon est empathique, c’est bien connu. Il l’est tellement, qu’il se fond dans son environnement, jusqu’au point d’adopter les codes les couleurs de ses interlocuteurs.

De là à lui trouver des talents de médiateur, il n’y a qu’un pas, à condition de ne pas le brusquer dans sa lenteur! Car il aime, avant tout, musarder dans la compréhension des positions des uns ET des autres, laisser libre court à sa curiosité dans toutes les situations, même parfois les plus improbables!

20151121_122927Ne croyez pas toutefois que le caméléon se comporte comme une girouette sans tête: certes il est prêt à se laisser entraîner sur beaucoup de chemins, à respirer de nombreux parfums, mais il ne peut endosser pour autant toutes les couleurs! Le rouge sang et le noir ne sont pas dans l’éventail de ses possibilités, et à chaque fois qu’il fonce trop dans ses couleurs, il se met gravement en danger. « Caméléon foncé, caméléon carbonisé » dit même un dicton caméléon.

Mais je voudrais pour finir, vous parler d’un aspect plus méconnu du caméléon. Moins perceptible que sa capacité à changer de couleur, il s’agit de la nécessité absolue, pour se mouvoir, s’enthousiasmer, pour survivre tout simplement, de pouvoir se brancher sur une énergie forte, à intervalles réguliers. Car le caméléon n’est pas auto-énergisant! C’est un bon transmetteur d’énergie, voire un bon amplificateur, mais il faut impérativement qu’il puisse se recharger à une centrale qui envoie des watts: c’est pourquoi aussi, génétiquement, tous les caméléons possèdent une petite prise électrique, discrètement cachée et rétractile au bout de leur appendice caudal.

Récemment certains individus plus sophistiqués, ont cru bon de s’équiper de panneaux photo voltaïques, générateurs, batteries et onduleurs. Force est de constater qu’ils sont restés à l’état de prototypes. Trop lourds, ils perdaient de leur agilité et de leur grâce dans les branchages.

Ne doutons pas que la miniaturisation high tech apportera un jour des solutions à ces contingences.  Mais que gagnerions-nous à échanger nos caméléons, certes un peu lents, contre des marsupilamis survoltés ?

Deux jours essentiels

gregoire boucher 3DEUX JOURS ESSENTIELS
par Grégoire

« N’ayant pas les qualités basiques pour exprimer à l’oral mes sentiments, c’est donc ma cyber plume que j’enfourche pour vous remercier, François et toi, pour ces deux jours que je considère sans aucune exagération comme intrinsèquement essentiels. Essentiels parce que mon Père spirituel me les avaiet annoncés comme tels. Essentiels parce que ma femme y tenait beaucoup, et essentiels parce que j’y ai puisé des forces incroyables.

J’y suis venu les yeux fermés et le cœur ouvert, sans grand mérite, car c’était sous l’impulsion de religieux amis! J’étais donc en confiance avec vous. Mais je ne m’attendais pas à y puiser quelque chose d’aussi riche, d’aussi simple, d’aussi clair et fondamental. Comme je vous l’ai dit en début de session, je n’attendais rien en particulier de ces deux jours, étant totalement ouvert à ce qui me serait proposé. Et je peux vous dire que j’ai reçu bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. C’est une aide précieuse, pour ne pas dire vitale.

C’est gentil d’avoir apprécié ma présence studieuse et assez silencieuse. Je ne suis pas très exubérant, comme tu as pu le remarquer. Mais j’ai passé deux jours magnifiques. J’ai été très impressionné par la transparence avec laquelle chaque participant s’est livré. Un exemple d’humilité, d’honnêteté et de simplicité qui m’a beaucoup touché.

J’ai hâte de pouvoir partager tout ça avec ma femme qui viendra au prochain stage. Elle aussi a  hâte. Mais je préfère la préserver pour qu’elle puisse vivre pleinement la session de janvier avec vous… Il va falloir tenir quatre mois et c’est très frustrant de garder tout ça pour moi, même si ma femme semble déjà se réjouir des progrès que j’ai pu effectuer en quelques jours !

One more time, merci du fond du cœur.

Le bonheur dans l’adversité

Charon traverssant le Styx. détail. Patinir. Prado. 1520-24LA TROISIÈME VOIE VERS LE BONHEUR
Christophe André
Psychologie Magazine, janvier 2015

« C’est une consultation à haute intensité émotionnelle. Un ancien patient, soigné il y a longtemps et aujourd’hui guéri, revient me voir pour m’annoncer le décès de son épouse, il y a deux ans, d’une leucémie : « Vous ne me croirez peut-être pas, mais j’ai ressenti une immense peine et un immense bonheur. Grâce au travail que nous avions fait ensemble sur la méditation, j’ai vécu toute cette période terrible en pleine conscience, sans me rétracter sur notre malheur, mais sans oublier notre bonheur. Nous n’avons jamais autant parlé tous les deux, nous ne nous sommes jamais autant aimés, nous n’avons jamais rien vécu d’aussi fort humainement. Et lorsqu’elle est morte, j’étais bouleversé mais pas dévasté. Aujourd’hui, il me semble que je vais bien. Et que c’est grâce à vous. Alors je suis venu vous dire merci. »

imgresOuh la la… Je respire doucement pour ne pas pleurer, je suis bouleversé, je le remercie et lui rappelle que ce n’est qu’un tout petit peu grâce à moi, c’est tout de même lui qui a traversé tout cela. Il continue de me raconter, je continue de l’écouter. Quand il repart, j’ai envie de le serrer dans mes bras, ce frère humain. Je me contente de lui serrer la main et de lui sourire avec le plus de chaleur possible. J’ai encore des progrès à faire.

Mais grâce à lui, j’ai vérifié une fois de plus ceci : le bonheur peut exister au sein même du malheur. C’est la troisième voie, si chère au cœur des soignants : comment aider nos patients malades ou malheureux à ne pas renoncer au bonheur?

Trois voies vers le bonheur, donc.

La première est la plus facile : être heureux quand notre vie est belle, douce, simple, agréable. Nous avons alors à simplement prendre le temps de savourer, de faire entrer le bonheur dans toutes les cellules de notre corps, et de rendre grâce.

La deuxième voie n’est pas trop difficile : être heureux quand la vie est banale, quand elle ne nous impose que de la petite adversité, tout en continuant de nous offrir des petits bonheurs. Il pleut, notre voiture est en panne, nous avons mal au dos, nous nous sommes disputés avec un proche. Mais nous sommes en vie, en démocratie, nous avons de quoi manger, des gens nous aiment, des choses nous intéressent. Nous avons juste à ouvrir les yeux sur tout cela, au lieu de les garder braqués seulement sur les soucis.

La troisième voie est celle que mon patient a empruntée : accéder au bonheur malgré la grande adversité. Parfois c’est impossible et on doit accepter qu’il y a dans nos vies des temps pour le bonheur, et des temps pour le malheur. Mais parfois, la lumière nous touche : malgré le malheur qui nous frappe, nous restons ouverts à tous les petits bonheurs, dérisoires, qui sont là, eux aussi, silencieux, tout autour de nous. Ils n’empêchent pas le malheur d’exister, mais nous donnent de l’air, empêchent la noyade. Plus rarement encore, cette grande adversité nous fait accéder à des bonheurs que nous n’aurions jamais connu sans elle (comme les échanges bouleversants entre mon patient et son épouse).

Cette troisième voie, ce n’est jamais nous qui décidons de l’emprunter, mais la vie qui nous l’impose. Et nous ne pouvons jamais savoir à l’avance si nous serons capable d’y cheminer le jour venu.

Mais si nous voulons être prêts pour ce jour-là, n’oublions pas de marcher régulièrement sur les deux premières voies. N’oublions pas d’être heureux quand la vie est simple, et l’adversité ordinaire. »

 

Une prière vittozienne

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TARD JE T’AI AIMEE
Saint Augustin 

« Tard je t’ai aimée, beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t’ai aimée.
C’est que tu étais au-dedans de moi, et moi, j’étais en dehors de moi !
Et c’est là que je te cherchais ;
ma laideur se jetait sur tout ce que tu as fait de beau.
Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi.
Ce qui loin de toi me retenait, c’étaient ces choses qui ne seraient pas, si elles n’étaient pas en toi.
Tu m’as appelé, tu as crié, et tu es venu à bout de ma surdité ;
tu as étincelé, et ta splendeur a mis en fuite ma cécité ;
tu as répandu ton parfum, je l’ai respiré et je soupire après toi ;
je t’ai goûtée et j’ai faim et soif de toi ;
tu m’as touché, et je brûle du désir de ta paix. »

Evagre et l’ennéagramme

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On évoque très souvent Evagre le Pontique comme un des précurseurs de la psychologie moderne et même de l’ennéagramme sans trop savoir de qui l’on parle et sans toujours replacer cela en contexte. Il me paraît important de citer la conclusion du livre Accompagner l’homme blessé d’un collectif de psychologue, coach et accompagnateur spirituel, le Groupe de Fontenelle (DDB)*. Nous y comprenons pourquoi Evagre apparaît si actuel et en quoi la démarche de connaissance de soi proposée par l’ennéagramme trouve un écho aujourd’hui en ce qu’il a mis en lueur dans la seconde moitié du IVème siècle.

Qui est Evagre ?

« Evagre le Pontique (345-399), qui appartient à la troisième génération des Pères du désert, connut un destin contradictoire à plus d’un égard: homme du monde, d’abord, puis humble moine au désert; tenu en grande estime de son vivant, puis discrédité bien longtemps après sa mort; père spirituel plein de compréhension et de bonté pour ses disciples, mais d’une rigueur sans compromis dans sa vie personnelle. Au cours des années qu’il passa  au désert, Evagre déploya une activité littéraire prodigieuse, hautement appréciée de ses très nombreux amis et disciples. On peut dire que son oeuvre littéraire permit de mettre en forme, de manière construite et systématique, la doctrine des Pères du désert. »

Un précurseur de la psychologie contemporaine dans la découverte de la notion de blessure

« En lisant ses ouvrages, on est frappé par la finesse de son analyse psychologique et par sa connaissance hors du commun des grands principes de la vie spirituelle. On pourrait lire, à ce sujet, le beau petit livre du Père Anselm Grün, Aux prises avec le mal. Le combat contre les démons dans le monachisme des origines. Dans cet ouvrage, qui fut le premier de ses livres, A. Grün fait une étude comparative d’Evagre et de Carl Jung, démontrant qu’Evagre connait déjà, au IVè siècle, tous les principes de ce que l’on appellera la psychanalyse. Voilà pourquoi il me semble intéressant de nous arrêter à ce qui est sans doute le point central de la doctrine d’Evagre et qui touche directement le thème de l’homme blessé, même si le mot blessure n’apparaît pas, à savoir: le thème des maladies spirituelles ou maladies de l’âme. Nous allons voir à quel point cette doctrine est d’une extraordinaire actualité. »

La sémantique médiévale de la maladie et notamment de la maladie spirituelle, et sa distinction du péché, constitue un bel éclairage dans la démarche de connaissance de soi.

« Si le terme de blessure nous l’avons dit, apparaît peu dans la littérature patristique et spirituelle, le vocabulaire médical, en revanche, est extrêmement abondant, tout particulièrement dans la littérature monastique. Il suffit ici de mentionner deux auteurs fondamentaux: Jean Cassien (360-433) en Orient et saint Benoît (480-547) en Occident. Pour tous ces auteurs, le vocabulaire médical possède une ambiguïté qui le rend particulièrement intéressant: en effet, il permet de mentionner à la fois ce qui touche au domaine physique et psychologique et ce qui touche au domaine spirituel. Habituellement, en effet, lorsqu’il est question de malade ou de maladie, il s’agit du pécheur et du péché, selon cette parole du Christ: « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin, mais les pécheurs; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, pour qu’ils se convertissent » (Lc 5, 31-32). Néanmoins, il ne faut pas en conclure que, dans la littérature monastique, la maladie spirituelle est à identifier purement et simplement avec le péché. En effet, lorsqu’on parle de maladie, on pense plutôt à quelque chose dont on n’est pas responsable, mais dont on est victime. Voilà pourquoi, la maladie spirituelle se présente souvent comme une épreuve, une tentation, et n’est considérée comme un péché qu’à partir du moment où il y a responsabilité, consentement. Evagre le dit fort bien: « Que les pensées mauvaises troublent l’âme ou ne la trouble pas, cela ne dépend pas de nous; mais qu’elle s’attardent  ou ne s’attardent pas, qu’elles déclenchent les passions ou ne les déclenchent pas, voilà qui dépend de nous. » »

Passions, maladies spirituelles, blessures de l’âme…

« Evagre emploie ici un mot qui signifie mauvaises pensées (logismoi en grec), mais il parle aussi très souvent de démons, car il considère que les mauvaises pensées sont inspirées par les démons. Ailleurs, il parle aussi de passions, de maladies spirituelles ou de maladies de l’âme. Nous pourrions, nous autres, parler de blessures, dans le sens analogique que nous avons précisé dans le premier chapitre. Nous voyons donc que, pour les moines du désert, les maladies spirituelles sont comme à la frontière entre le psychique et le spirituel, dans ce sens que, bien souvent, le démon qui les inspire profite d’une faiblesse physique ou psychologique pour toucher le domaine spirituel, à savoir la relation entre l’âme et Dieu. D’ailleurs, Evagre établit sa classification des maladies de l’âme d’après la psychologie humaine et les divers stades de la vie spirituelle. Le propre des maladies de l’âme est que ce sont des blessures qui ne viennent pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, et touchent notre relation à Dieu, avec des répercussions sur nos relations aux autres et notre relation à nous-mêmes.

Disons un petit mot de la théorie des maladies spirituelles ou mauvaises pensées développées par Evagre le Pontique. L’origine de cette doctrine vient d’un texte biblique, le début du chapitre 7 du Deutéronome, qui donne la liste des peuples qu’Israël doit combattre avant de pouvoir entrer en Terre promise. Voici cette liste: les Hittites, les Girgashites, les Armorites, les Cananéens, les Perizzites, les Hivvites et les Jéubuzéens (Dt 7,1). Sept peuples, auxquels il faut ajouter l’Egypte, qu’Israël a quittée en partant au désert. Au total, huit peuples, huit ennemis que le peuple d’Israël doit combattre avant d’entrer dans la terre que Dieu lui a promise.

Huit blessures de l’âme: une cartographie de l’intime et de la psyché

Pour toute la tradition spirituelle de l’Eglise, la vie chrétienne est, elle aussi, une marche au désert. Nous avons quitté l’Egypte (c’est-à-dire la terre du péché) par la traversée de la mer Rouge (c’est-à-dire par le baptême), et nous avons commencé alors un itinéraire spirituel qui durera toute notre vie et qu’on peut assimiler à un véritable pélerinage dans le désert. Pour pouvoir entrer dans la Terre promise (c’est-à-dire dans la vie éternelle), nous devons combattre nos ennemis. Ces huit nations énumérées dans le livre du Deutéronome symbolisent huit ennemis de l’âme, huit maladies spirituelles (nous pourrions dire huit blessures spirituelles) qu’il nous faut combattre avant de vivre l’union définitive avec Dieu. Ces pensées ou blessures de l’âme sont appelées par Evagre génériques, dans le sens qu’elles comprennent, en elles, toutes les autres maladies, lesquelles découlent toutes, d’une manière ou d’une autre, de ces huit maladies principales. La pire de ces nations, c’est l’Egypte; le pire des ennemis, c’est l’orgueil, qui sera toujours mentionné par Evagre au terme de sa liste. Avant lui, sept autres mauvaises pensées ou maladies de l’âme nous font la guerre: « Huit sont en toutes les pensées génériques qui comprennent toutes les pensées: la première est celle de la gourmandise, puis vient celle de la fornication (ou luxure), la troisième est celle de l’avarice (ou appât du gain), la quatrième celle de la tristesse, la cinquième celle de la colère, la sixième celle de l’acédie, la septième celle de la vaine gloire (ou vanité), la huitième celle de l’orgueil. »

Evagre est le premier à présenter ces maladies de l’âme toujours dans le même ordre, l’orgueil arrivant en fin de liste. Il est possible de déchiffrer, dans cette ordonnance, une gradation ascendante des passions qui se raffinent progressivement. Les maladies mentionnées en premier lieu, gourmandise et fornication, sont celles contre lesquelles le moine a d’abord principalement à lutter; la colère et la tristesse sévissent surtout quand le moine, ayant vaincu les passions charnelles, avance dans la vie spirituelle; les maladies que sont la vanité et l’orgueil se manifestent surtout quand les autres se sont retirées et elles menacent davantage le moine qui a bien progressé dans la vie spirituelle. Mais, parmi toutes ces blessures, il en est une qui est particulièrement redoutable, car elle se situe à l’intersection entre le charnel et le spirituel: c’est l’acédie, ou démon de midi, qui touche à la fois le corps et l’âme, profitant d’une faiblesse du corps pour attaquer l’âme.

Evagre mentionne, par ailleurs, qu’il y a un enchaînement entre les pensées: la gourmandise, par exemple, nous incline à la luxure, laquelle va nécessiter de l’argent pour s’exercer (Evagre pense à la fréquentation des prostituées), d’où l’appât du gain; mais si l’on n’a pas d’argent, on va tomber dans la tristesse, puis dans la colère, l’acédie, etc. »

Une typologie qui n’a pas pris une ride et dont l’universalité est criante

« L’actualité de ces maladies spirituelles est criante. Si nous observons notre société, nous découvrons que ces huit blessures spirituelles correspondent à tout ce que cette société promeut ou exalte: le manger et le boire, le sexe, l’argent, la révolte, le paraître, le pouvoir… Voilà en réalité, des blessures qui atteignent très profondément le cœur humain et qui, de manière subtile, touchent toutes les dimensions de la personne: le corps, l’âme et le cœur profond, pour reprendre la terminologie ternaire mentionnée plus haut. »

A l’origine de la typologie des péchés capitaux

« Disons aussi que cette doctrine évagrienne des pensées mauvaises a connu un succès extraordinaire dans la Tradition, aussi bien en Orient qu’en Occident, où Jean Cassien l’introduira après la mort d’Evagre. Approfondie, développée au fil des siècles, cette doctrine sera la clé de voûte de toute la littérature spirituelle du Moyen-Age, qui modifiera un peu le vocabulaire en faisant, de chacune de ces blessures de l’âme, un péché dénommé capital (du mot latin caput, la tête), parce qu’il entraîne, derrière lui d’autres péchés. L’expression péchés capitaux n’indique donc pas la gravité, mais l’aptitude de ces péchés à en engendrer d’autres, ce qui leur donne un caractère particulièrement redoutable. »

Un itinéraire proposé pour chaque blessure

« Qu’en est-il alors de l’homme touché par ces blessure? Quel chemin s’ouvre pour lui? Evagre propose un itinéraire spirituel pour lutter contre les mauvaises pensées et parvenir à la pureté de l’âme, qu’il appelle l’impassibilité et qu’il définit comme « le retour à la santé de l’âme ». Cet itinéraire de guérison ou de purification comporte plusieurs étapes: tout d’abord, l’attention à soi-même pour démasquer la pensée mauvaise et les mécanismes qu’elle met en branle pour nous troubler; ensuite, il s’agit de nommer la pensée, de manière à prendre de la distance par rapport à elle; enfin, il s’agit de lancer contre la pensée quelques versets de l’Ecriture qui, comme des flèches, vont la transpercer et la détruire avant qu’elle ait pu nous entraîner au péché.

Comme nous l’avons dit, l’histoire du salut racontée par la Bible est notre histoire à chacun. Par le péché des origines – l’orgueil qui a conduit nos premiers parents à vouloir devenir Dieu par leurs propres forces -, chacun de nous fut prisonnier en Egypte, sous la domination de Pharaon. Par le baptême, nous avons été délivrés de l’orgueil et nous avons fait mourir, dans les eaux vives, ce qui nous séparait radicalement de Dieu, et nous avons commencé un itinéraire à travers le désert de ce monde, un itinéraire où d’autres maladies nous guettent. C’est pourquoi, bien que radicalement sauvés par le Christ, nous faisons l’expérience que nous restons blessés, entravés, par toutes sortes de tendances mauvaises qui nous font la guerre, et que nous avons un combat spirituel à mener. »

Il n’y a évidemment pas de lien direct entre les neuf types de l’ennéagramme et la typologie d’Evagre. Et pourtant certaines correspondances sont frappantes et ne peuvent trouver leur raison d’être que dans le cœur de l’homme où les deux études se rejoignent.

Pour l’ennéagramme en effet, la personne est marqué par une passion dominante que, dans une filiation aristotélicienne, je préfère appeler excès de passion. Cet excès de passion constitue une maladie de l’âme caractéristique du profil de cette personne. En cultivant la vertu de son profil, elle pourra tendre à toutes les vertus selon la connexion entre les vertus thomasienne.

Nous passons de huit à neuf types mais les moyens du combat spirituel prônés par Evagre a des points communs avec celui de la Tradition Orale de l’Ennéagramme: l’obervateur intérieur qui consiste aussi à porter « attention à soi-même » (l’ennéagramme dirait « prendre conscience ») et nommer.

Car l’ennéagramme nomme, avec cet excès, le lieu même de notre fragilité principale. Mais il reconnaît en même temps la possibilité d’un chemin permettant de libérer un talent propre par l’exercice d’une vertu principale. Reconnaître ce qui est en nous blessé, c’est en même temps nous permettre de découvrir notre don. Car c’est au même endroit que nous sommes le plus béni et le plus attaqué, le plus pécheur et le plus comblé. C’est reconnaître le lieu où Dieu nous a voulu et où Il nous attend. 

*Pour aller plus loin: Accompagner l’homme blessé, Groupe de Fontenelle, DDB,

 

Une nouvelle naissance

introHommes02UNE NOUVELLE NAISSANCE
par Damien

« Un grand merci à tous les deux ! Depuis mon retour en Bretagne j’expérimente comme une seconde naissance comme si rien et tout avait changé en même temps… Rien car la vie continue et tout car les paramètres ne sont plus vraiment les mêmes !

Cette formation m’a surpris au-delà de mes attentes. Je voulais me laisser surprendre (et au fond de moi j’avais peur de ne pas être surpris ou suffisamment surpris !) et j’ai été largement récompensé.

Ces sauts périlleux d’une base à l’autre jusqu’à la mienne a ce côté inattendu et libératoire au regard de choses passées qui me pèsent encore. Il va me falloir mûrir tout cela paisiblement. »

Changer de costume

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par Emmanuel

Je vous avoue ne pas m’être douté le moins du monde de ce qui m’attendait. Pour moi il n’y avait que dans les films qu’on s’effondre en fontaine sans pouvoir retenir quoi que ce soit… Je n’avais pas pleuré depuis… quinze ans ?

Pas cool.

Mon impression finale ? Je vivais sans le savoir avec un costard trop court et trop étroit, pas de beaucoup mais suffisamment pour me mettre sous pression. Et les coutures ont craqué durant ce week-end !

Le deuxième jour, par « hasard », je me suis retrouvé dans un rayon de taille NEUF avec une « conseillère » qui m’a proposé d’aller voir le rayon d’à côté ! Mais non ! Je le sais bien moi ! Mais… si peut-être !  Et je me suis retrouvé dans un costard tout neuf (non SIX!), bien mieux ajusté et parfait à mon goût, d’une couleur juste un peu plus voyante que ce dont j’avais l’habitude.

Je comprends mieux beaucoup de choses aujourd’hui.

Ce stage était un cadeau de ma femme… Ce sera son prochain cadeau d’anniversaire!

 

Brian Wilson et la base 7

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BRIAN WILSON
Un archétype* de base 7
par François

Je sors du visionnage du très beau film de Bill Pohlad Love & Mercy, consacré à la vie de Brian Wilson, leader des Beach-Boys.

C’est un film sur la création musicale, le mythe californien, la maladie psychique, la figure du père, la perversion d’un gourou, l’enfance perdue, et aussi une très belle histoire d’amour. Pour ceux qui aiment cette musique, c’est l’occasion de voir un film abouti et sensible, avec deux très bons acteurs jouant Brian Wilson. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette musique, c’est l’occasion de rencontrer le plus grand génie Pop. Mais en ce qui nous intéresse ici, c’est la confirmation pour moi ce que la musique et la vie de Brian Wilson disent de la probabilité d’une base 7.

Les Beach-Boys, c’est une histoire de famille: les trois frères Wilson, Brian, Carl et Denis, leur cousin Mike Love et Al Jardine. Leur musique est cette Surf Pop qui épouse parfaitement la joie et l’ivresse de vivre dans une Californie qui peut prétendre au titre de nouveau paradis terrestre: une sorte de terre de 7 où tout est possible, facile, jouissif, où les espaces sont immenses, où l’on se sent libre, où les notions de souffrance et de contraintes sont repoussées, y compris par l’usage de subterfuges addictifs comme l’alcool et la drogue. Cette Californie est la terre des tubes qui firent la notoriété des Beach-Boys, et dont Brian fut le maître d’oeuvre, comme I Get Around. Chanson euphorique de désir inassouvi, elle est comme un étourdissement recouvrant la part d’ombre par une tension et une excitation à fleur de peau:

Cette part, Brian ose la dévoiler dans la mélancolie de Surfer Girl qu’une bonne partie du public ne reçoit que comme un slow, alors qu’il s’agit pour moi d’une ballade presque enfantine qui révèle une fêlure… Les 7 sont de grands enfants, souvent facétieux, qui ont du mal à accepter l’engagement et les responsabilités, et jouent de leur charme innocent pour recouvrir leurs blessures enfouies.  Ainsi ils n’ont pas à les affronter et peuvent rejouer sans cesse le mythe du paradis perdu.

En 1965, les Beatles sortent Rubber Soul, album magistral d’unité. Brian Wilson est attiré par cette possibilité nouvelle de faire autre chose que des chansons à succès. Il laisse partir ses frères, cousins et ami en tournée au Japon, pour travailler à la musique qu’il porte en lui. Le résultat est un album qui dépasse tout ce que la Pop Music avait pu inventer. Brian crée du nouveau, utilise une multitude d’instruments classiques auxquels il adjoint le son d’un klaxon burlesque, des aboiements de chien, le bruit d’un train qui passe. Tout est occasion de musique, même sa voix qui parle en studio… Ecoutez le poignant Caroline no :

Le résultat est à la hauteur de cette phrase que l’on entend dans la film: « Il faut que ça ressemble à un cri, mais que ce soit positif! » Nous sommes ici au cœur caché de la base 7: ce qu’il vous livrera ne sera jamais profondément triste, ou tout au moins cela ne sera jamais dit ainsi, car entrer en contact avec ses émotions négatives est extrêmement difficile pour lui. S’il approfondit son monde intérieur, il y aura toujours quelque chose qui sonne positivement, même euphoriquement, recouvrant les aspérités du violoncelle et les gouffres de l’orgue, un son magnifié luxuriant, un choix radical de la joie comme rempart contre la tristesse, à l’ennui qui terrasse, à la solitude qui tue. C’est ce que rend palpable le chef d’oeuvre Good vibrations: 

Mais le destin de Brian Wilson est atypique: c’est celui d’un homme qui souffre d’une maladie mentale, jusqu’à l’incapacité. Il ne peut finir le chef d’oeuvre auquel il aspirait, l’album Smile, sombre dans une maladie psychique grave et se retrouve livré aux mains d’un psychiatre gourou qui prend possession de lui. Le film Love & Merci raconte cette histoire et comment Brian s’en est sorti par l’amour et la compassion. Mais en deçà de cette maladie, on peut observer que Brian a voulu explorer ce que sa base 7, dans sa recherche gloutonne de tous les plaisirs, de tous les possibles, ne lui autorisait pas: une quête de profondeur et de sens. Il est marquant de voir Brian Wilson activer si souvent les deux flèches de la base 7, ces deux ressources additionnelles qui permettent de sortir du carcan du type. En l’occurrence, la flèche 1 perfectionniste lui permet de travailler à une réalisation toujours plus exigeante et rigoureuse et la flèche 5 lui fournit la capacité de s’isoler pour mieux assimiler ses émotions pour mieux les retranscrire. Mais pour autant, Brian reste 7: il y a dans sa musique une légèreté aérienne, une joie de vivre foisonnante, ouverte jusqu’à la dispersion, malgré ce que la musique livre d’une part de fêlures, de peurs, d’angoisses de séparation. Le fameux Heroes & Villains de Smile, dans la version reconstituée autour de Brian Wilson en 2004, en est l’illustration:

Tour à tour tendre et burlesque, je la vois comme la musique d’une personne de centre mental comme le laisse apercevoir le film, avec un Brian se tenant la tête entre les mains. Tout se passe dans la tête en 7, le mental crée en permanence un monde de plaisirs ou de sensations fortes qui lui permettent d’échapper à l’ennui du quotidien, à une détresse enfouie et qu’il lui faut parfois des années pour contacter, ce qui est douloureux, mais salvateur.

Brian Wilson a composé ce qui est pour certains la plus belle chanson du monde, Surf’s Up. Mystérieusement, on sent ici le lien qui unit les trois types idéalistes, 1, 4 et 7. Les trois attendent du monde ce qu’il ne peut donner car il n’est pas assez parfait, absolu, heureux. Ma lecture du destin de Brian Wilson est que sa souffrance psychique fut pour lui un moyen inconscient d’échapper au réel et de tenter de garder ce sens de l’enfance et du jeu qui sont la marque de la base 7 et qu’un monde adulte ne permet pas. Ce n’était qu’un leurre, mais qui a fini par lui permettre, par la traversée de ses propres souffrances, à faire de son existence une vie vécue et non survolée, à ne pas rester en surface mais à avancer en eau profonde, à vivre une pâque qui conduit à la résurrection.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

 

 

 

 

Un poème vittozien

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SENSATION
Arthur Rimbaud
Mars 1870

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.